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3 erreurs à éviter dans l'interprétation de la démarche de Mintzberg

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Catégorie : Les études de la filière d'expertise comptable
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Article écrit par Cavagnol André sur Facebook Cavagnol André sur LinkedIn (18 articles)
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Longtemps ignoré, Henry Mintzberg est maintenant devenu une référence incontournable des épreuves de management des examens (DCG UE7 - Management). Son approche est cependant souvent assez mal maîtrisée et pas seulement par les candidats.

Nous présenterons ci-après trois erreurs fréquemment rencontrées dans l'interprétation de sa démarche.

 

Pas toujours vrai : « les entreprises innovantes ont une structure innovatrice (adhocratie) »

L'adhocratie ou structure innovatrice correspond à des organisations ayant une structure peu formalisée, composée de spécialistes, vecteurs et moteurs de changement, qui agissent sur la stratégie au travers d'un système technique sophistiqué. Leur pouvoir de décision est lié à leur compétence technique. Ils constituent un réseau dense de liaisons et de négociations. La distinction entre les diverses parties de la structures (sommet stratégique, ligne hiérarchique, centre opérationnel, technostructure et support logistique) y a quasiment disparu au profit d'une décentralisation généralisée, ne laissant subsister qu'une structure correspondant plus ou moins à un support logistique au service d'une base opérationnelle autonome de spécialistes en interaction. La coordination se fait surtout par ajustement mutuel (échanges plus ou moins formels entre individus sans intermédiaire) – ex. : société de service informatique, agence de publicité. Le rôle de la hiérarchie y est marginal.

Pour ce qui est de l'entreprise entrepreneuriale, elle résulte selon Schumpeter de la volonté de l'entrepreneur de mettre en œuvre une innovation qui apporte une amélioration à un produit ou qui trouve une nouvelle combinaison productive. Mintzberg considère de son côté que cela n'est possible que dans le cadre d'une structure simple : peu de niveaux hiérarchiques et sous la supervision directe de l'entrepreneur, seul à avoir une vision globale du projet.

Il faut également noter qu'Henry Mintzberg explique la diversité des structures des organisations par une certaine contingence avec leur position sur leur cycle de vie :

  • la phase de formation impliquerait une forme d'entreprise entrepreneuriale avec une structure simple ;
  • la phase de développement correspondrait à des structures mécanistes, missionnaires ou innovatrices ;
  • la phase de maturité conduirait à adopter soit une bureaucratie professionnelle, soit une structure divisionnalisée du fait de la rigidification de plus en plus forte des structures.

Sur ces bases, nous voyons donc que se dégagent deux principales approches de l'entreprise innovante :

  • Lorsque l'entreprise est née d'une idée de l'entrepreneur, l'innovation, elle prend en général la forme d'une structure simple,
  • Lorsque l'innovation provient d'un dispositif organisationnel visant à la favoriser, l'organisation à la forme d'une structure innovatrice (adhocratie).

Rien n'empêche toutefois d'envisager d'autres formes de structures qui permettent de développer des innovations, par exemple, dans une bureaucratie mécaniste l'innovation serait du ressort de la technostructure ou bien elle pourrait naître de la pratique dans une bureaucratie professionnelle. Nous voyons donc que l'innovation n'est pas spécifiquement liée à la structure innovatrice même si selon Mintzberg c'est la forme organisationnelle qui la favorise le plus.

 

Faux : « normes légales et normes techniques correspondent à une coordination par standardisation des normes »

Trompé par la terminologie, beaucoup considèrent que la coordination par standardisation des normes se justifie par l'existence de normes légales ou techniques. Ce n'est pas la conception de Mintzberg.

Le mécanisme de standardisation des normes que décrit Mintzberg présente cependant quelques ambiguïtés car il pourrait laisser supposer qu'il y a un organisme ou des personnes dans l'organisation qui définissent ces normes, comme la technostructure de la bureaucratie mécaniste dans laquelle des analystes ont un rôle de standardisation des procédés. Mintzberg n'a jamais évoqué l'existence d'un tel composant de la structure.

D'autre part, la mise en place de normes comme ISO ou IFRS ne correspond pas à une standardisation des normes mais à une standardisation des procédés ou à une standardisation des résultats (elles fixent des procédures à respecter ou des objectifs impératifs à atteindre). Il s'agirait alors plutôt d'une bureaucratie mécaniste ou d'une bureaucratie professionnelle.

Au sens de Mintzberg, les normes sont des éléments de l'idéologie (il fait référence dans Management, voyage au centre des organisations à la croyance religieuse). Il la définit comme « un fort système de valeurs et de croyances » contribuant à l'intégration des individus, une culture d'entreprise. Ces normes sont en grande partie déterminées par l'environnement [1]. La culture organisationnelle est, entre autres, aussi bien déterminée par la volonté d'un leader que par l'histoire de l'organisation ou par la société dans laquelle elle est installée. Il faut noter en particulier que Mintzberg situe les propriétaires dans l'environnement[2].

La standardisation des normes correspond donc aux comportements exclus ou préconisés par la culture organisationnelle, à l'idéologie, et non à la mise en œuvre de règles de fonctionnement techniques ou légales.

 

Pas toujours vrai : « L'innovation est une stratégie émergente »

On considère souvent qu'il y a une « stratégie émergente » dès lors qu'il y a innovation, ce qui est manifestement faux. Tout dépend du contexte de l'innovation : R&D (délibérée), événement fortuit (le potier de Mintzberg), émergente. Pour qu'il y ait une stratégie émergente il faut qu'il y ait eu une stratégie délibérée antérieure. La stratégie émergente vient se greffer sur un processus stratégique complexe. L'intention stratégique (qui n'est pas totalement mise en œuvre) conduit à la mise en place d'une stratégie délibérée (qui n'est pas forcément totalement réalisée). Des possibilités de stratégies émergentes apparaissent alors (échec de la stratégie délibérée, opportunités) qui influencent le processus stratégique pour conduire à la stratégie réalisée qui combine la stratégie délibérée réalisée et les stratégies émergentes qui ont abouti (Henry Mintzberg, The Rise and Fall of Strategic Planning, Business & Economics, 1994).

Les dérives que nous venons d'évoquer proviennent essentiellement de la persistance d'une conception univoque du management : à un concept doit correspondre un contexte prédéterminé et vice versa. Nous retrouvons ici l'adhésion toujours très répandue et souvent inconsciente au principe du « one best way ». Le concept de contingence n'est pas aussi systématique. Il s'agit d'un outil d'analyse des organisations et non d'une recette qui permettrait de trouver automatiquement des solutions toutes faites en faisant l'économie d'une réflexion et d'analyser la situation. Chaque situation organisationnelle est spécifique et ne peut faire l'économie d'une réflexion approfondie. Les concepts développés par Henry Mintzberg sont avant tout des outils d'analyse et de réflexion et non des recettes que l'on pourrait appliquer mécaniquement

 

[1] Voir aussi à ce propos l'étude de Geert Hofstede dans les filiales d'IBM (qu'il appelle Hermès) qui montre que la culture d'entreprise des filiales dépend à la fois de leur culture nationale et de la culture d'entreprise du groupe.

[2] Sur la notion d'environnement au sens de Mintzberg, cf. « Management, voyage au centre des organisations », figure 6-2 – Les détenteurs d'influence interne et externe dans le cadre de l'organisation.

André Cavagnol

André Cavagnol
Consultant - Formateur - Auteur en management des organisations
Conseils en organisation, séminaires, conférences, cours
Direction de rapports de stage et de mémoires (DCG, DSCG).


3 erreurs à éviter dans l'interprétation de la démarche de Mintzberg


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