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La vérité sur la simplification impossible !

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Catégorie : Actualité des métiers du chiffre
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Avons-nous perdu le combat pour la simplification ?

Nous nous déplaçons dans la société comme sur un damier de cases à cocher ou à décocher.

On finit par se convaincre que notre existence se résume à une somme de critères administratifs ; que tout débordement hors de la grille constitue une faute à corriger au plus vite. On poursuit désespérément cet idéal impossible des temps modernes : être en règle. Et quand enfin tous les dossiers sont clos, toutes les demandes validées, tous les actes tamponnés, c'est le signe que nous sommes morts [1].

Le combat pour la simplification ou, de manière moins ambitieuse ou plus pragmatique contre la complexité, semble être bel et bien perdu. Notre profession le constate chaque jour et chaque loi, instruction, ordonnance, règlement rend notre exercice quotidien plus complexe, plus chronophage, plus inutile encore à nos clients.

C'est le cas en matière de fiscalité mais que dire en matière de droit du travail (certainement le domaine le plus difficile à traiter !), juridique, comptable mais aussi environnemental ou social ?

Si nous sommes à plaindre, nombreux sont nos clients à subir les mêmes conséquences d'une sur-réglementation. Faut-il parler du bâtiment, de la restauration, de l'industrie ou même du commerce avec les contrôles des douanes et de la Direction Générale du Commerce, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ?

 

La phobie administrative !

Bref, 400 000 règlements régissent notre vie (la vie privée n'est pas épargnée par la sur-réglementation qui ne touche pas que l'activité professionnelle) pour nous contraindre à faire ceci, ne pas faire cela, le faire comme ceci ou comme cela.

Plusieurs raisons ont conduit à créer cet enfer bureaucratique poussant certains à développer une « phobie administrative », maladie auto-diagnostiquée du député Thomas Thévenoud [2].

Écartons d'emblée la cause très populaire d'une classe politique déconnectée de la réalité, composée d'énarques hors-sol et de fonctionnaires incompétents ; cela peut arriver mais dans leur grande majorité, nos élus sont intègres et sincèrement impliqués dans la recherche du bien commun. La plupart d'entre eux sont plutôt intelligents et consciencieux. Ce sont même souvent des experts, ce qui, en vérité, est le n½ud du problème. Le populisme du « tous pourris » ou « tous incompétents » n'est donc ni un diagnostic pertinent, ni la voie d'une solution permettant d'imaginer un jour de régler la situation.

La première raison concrète de la complexité administrative vient des demandes catégorielles des groupes de pression (les corps intermédiaires et les lobbys) qui souhaitent disposer d'une législation d'exception couplée à l'ambition de l'Etat de tout planifier.

La prolifération des niches fiscales en est un exemple : les promoteurs immobiliers veulent subventionner leurs activités ? On légifère avec le dispositif Robien, Besson, Duflot, Pinel, etc...

Les start-up cherchent des financements ?
On crée la réduction IR-ISF PME.

Empilement de lois, de règles, de contraintes car il n'est pas possible de faire simple lorsque le législateur, tel Ulysse naviguant entre Charybde et Scylla, doit éviter l'effet d'aubaine et l'effet pervers... S'en prémunir, c'est rechercher l'efficacité de la dépense publique.

 

Effets d'aubaine et effets pervers

L'effet d'aubaine serait par exemple une réduction au titre de l'ISF-PME utilisée par une entreprise qui ne serait pas une réelle entreprise créatrice de valeur. Ainsi, l'article 885-0 V bis relatif à la réduction ISF-PME fait-il plusieurs pages interdisant ceci ou limitant cela jusqu'à prévoir par exemple que les « actifs de l'entreprise ne soient pas constitués de façon prépondérante de métaux précieux, d'½uvres d'art, d'objets de collection, d'antiquités, de chevaux de course ou de concours ou, sauf si l'objet même de son activité consiste en leur consommation ou en leur vente au détail, de vins ou d'alcools ».

Avant l'ajout de ces limitations [3], certains contribuables avaient en effet détourné l'esprit du texte afin de se constituer des caves à vins financées à hauteur de 75% par une réduction de leur ISF, le stock de vins étant, à l'issue des cinq ans [4], récupéré en liquide par le biais d'une réduction de capital, désormais elle aussi interdite avant 10 ans...

Il existe également de nombreux effets d'aubaines dans d'autres situations : percevoir une aide de 4 000¤ lors d'une embauche relève de l'effet d'aubaine si, même en l'absence d'aide, l'embauche aurait été réalisée : encore une dépense publique, financée par nos impôts, inutile en ce sens qu'elle n'a joué un rôle incitatif qu'à la marge.

L'effet pervers est un effet contre-productif : un dispositif mal ficelé, mal conçu a des effets pervers indirects. Les effets de seuils en matière sociale en sont une illustration. L'augmentation des contraintes sur les entreprises dépassant les seuils de 10, 20 et 50 salariés a pour effet pervers de limiter les embauches à l'approche des seuils.

Comme l'illustre le graphique ci-après (chiffres issus de la base fiscale 2006), pour 34 500 entreprises de 9 salariés, il n'y a que 18 300 entreprises de 10 salariés.

image

Note : les échelles des graphiques sont différentes,
selon l'importance globale du nombre d'entreprises autour des différents seuils.

Source : Insee, Ficus

Légiférer c'est donc naviguer entre ces obstacles et par conséquent rendre complexe des dispositifs qui auraient pu être simples si les agents économiques réagissaient sans perversion aux incitations fiscales.

Mais le monde étant ce qu'il est, la complexité est inévitable.

 

Allo maman bobo ?
L'Etat-nounou protège et veille sur notre bonheur

Mais cette première raison concrète s'appuie en réalité sur une autre raison plus fondamentale, qu'il est même possible de qualifier de philosophique :

L'Etat a-t-il pour mission de faire notre bonheur à coup de règlements, de lois et d'interdits ?

L'Etat doit-il planifier nos vies et l'économie ?

Doit-on protéger les citoyens contre eux-mêmes ?

Les exemples pullulent : le port du casque en moto ou de la ceinture de sécurité en voiture, les cotisations retraites obligatoires, l'adhésion obligatoire à la sécurité sociale, etc... Dans ces exemples [5], on ne réglemente pas pour la protection des tiers (ce qui est le cas dans la limitation de vitesse sur la route ou le risque d'accident et donc de danger pour les autres usagers augmente avec la vitesse de son propre véhicule) mais pour la protection de l'individu. Si je conduis sans casque ou sans ceinture de sécurité, je ne mets en danger que moi-même, si je ne cotise pas pour ma retraite, je risque de me retrouver démuni à la fin de ma vie, etc...

La France, avec un taux de prélèvements obligatoires parmi les plus élevé du monde, a fait le choix d'un Etat-nounou qui protège ses citoyens. Sur le plan économique, dans ce modèle centralisé, l'activité est planifiée, gérée, administrée par l'Etat.

Toute une bureaucratie s'organise, se met en place pour limiter l'autonomie et la liberté des individus, bien loin d'un modèle libéral que nous ne connaissons pas.

La période électorale qui s'ouvre (je parle bien des élections à la présidence de la République et non à l'Ordre !) montre la prégnance de l'Etat dans tous les rouages de la société. Nous demandons à notre futur président de s'occuper de tout : terrorisme, chômage, croissance, TGV d'Alsthom, mariage pour tous, tenues vestimentaires sur les plages, etc...

Pour en revenir sur les exemples cités précédemment, où l'on voit que l'application concrète d'une législation impose une complexité inévitable, la question serait : faut-il légiférer ?

Plutôt que subventionner les promoteurs, ne serait-il pas plus efficace d'alléger les contraintes foncières avec moins de réglementations contraignantes qui surenchérissent le coût de la construction ?

Une timide tentative a été lancée par le gouvernement avec 50 mesures de simplifications dans la construction de logements [6]. On mesure l'ampleur du problème en découvrant les règles supprimées ! Par exemple, il est prévu de supprimer les dispositions pour l'accessibilité aux personnes en fauteuils roulants aux étages non accessibles... Situation kafkaïenne qui imposait des aménagements dans des logements... inaccessibles !

Faut-il pérenniser le dispositif ISF-PME ?
Ne faut-il pas plutôt supprimer l'ISF, alléger les contraintes des entreprises et laisser les investisseurs choisir d'investir dans les entreprises de leur choix en fonction de la seule espérance de plus-value future ?

Citons à nouveau Gaspard Koenig : « Pour se donner les moyens de diriger les individus, il faut prélever beaucoup d'impôts d'un côté, et aiguiller leurs choix avec beaucoup de subventions et d'allocations de l'autre. L'idée même de niches fiscales, et leur multiplication hors de contrôle, est liée à ce jeu constant de pression et de contre-pression. Un raisonnement identique s'applique aux entreprises : l'Etat préférera toujours le crédit d'impôt à l'allègement de charges afin de maintenir le lien de dépendance. »

 

Comment résoudre le problème de nos cabinets ?

Alors ?
FEC, DSN, DEC-Loyer, RSI, CICE, liasse fiscale pléthorique, déclarations en tout genre, contrôle permanent, bulletin de paie incompréhensible, charges, taxes et bientôt le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu,... peut-on imaginer simplifier notre pratique alors que c'est toute la société qui subit la complexité de la planification par des experts ?

Sauf miracle [7], et comme l'expérience le prouve, toutes les tentatives de simplification se sont invariablement soldées par un accroissement de la complexité, malgré les intentions sincères de leurs initiateurs.

Les pistes de simplification pour notre profession passent donc en pratique par une robotisation de la complexité administrative : notre métier consistera de plus en plus à simplifier la vie de nos clients en internalisant la complexité administrative, fiscale, sociale et juridique.

Comprenons-nous bien : ce n'est pas la complexité qui nous fait vivre ; celle-ci est sans valeur ajoutée et sera de moins en moins facile à facturer. L'internalisation de la complexité doit s'accompagner pour devenir supportable de gain de productivité par une automatisation des taches.

Au cours des décennies précédentes, notre marché se caractérisait par une relative opacité en termes de concurrence interne (notre client peut obtenir désormais un devis pour une mission comptable en quelques clics) doublée de gains de productivité liés à l'amélioration incrémentielle de nos outils de production.

La dématérialisation a engendré au cours des dernières années une inflation des contraintes administratives et techniques sans que nous puissions à ce stade bénéficier des mêmes automatismes, et donc des mêmes gains de productivité. La situation est en passe d'être réglée avec les nouveaux logiciels qui permettent d'automatiser (presque automatiquement...) le traitement comptable et la production fiscale.

En pratique, notre travail en matière comptable ne sera plus une longue succession d'opérations de saisie et de révision, mais la mise en place d'une organisation des flux d'informations dématérialisées provenant de multiples sources : factures électroniques, logiciels nomades de gestion des frais, intégration bancaire, imputation et révision automatisées, production fiscale robotisée.

La mise en place du dossier et le paramétrage, l'interconnexion des différents systèmes et des différentes sources d'approvisionnement numérique nécessitera une expertise dans la gestion des flux numériques... mais moins dans la saisie comptable.

 

Le médiateur de la simplification

D'ici là, l'une des pistes que nous envisageons d'expérimenter à Paris, si nous gagnons les prochaines élections (cette fois-ci, je parle bien de l'élection à l'Ordre du 14 au 30 novembre 2016 !), consistera à externaliser la complexité que subissent les cabinets auprès d'un interlocuteur dédié au sein du Conseil Régional.

Il ne sera pas question de régler les demandes simples telle qu'une remise gracieuse de pénalités, ou la contestation d'un rappel ni d'intervenir sur des sujets techniques mais de centraliser et de mutualiser le traitement des situations anormales et caractéristique d'un dysfonctionnement des services administratifs : problème d'inscription au RSI, relance abusive de l'URSAFF, mauvaise imputation des encaissements par les caisses de retraites et mises en demeure abusives, difficultés avec les SIE, etc...

Ces problèmes particulièrement chronophages et anxiogènes pour nos cabinets pourraient ainsi être traités par un spécialiste, de manière centralisée et donc bien plus efficacement que par nos cabinets seuls. En effet, l'expérience acquise par les interlocuteurs de cette cellule de résolution de problème, leur connaissance des « bons » contacts seraient des atouts en termes d'efficacité et de réactivité. A l'instar de nos cabinets qui solutionnent les problèmes de nos clients, l'Ordre résoudrait les problèmes des cabinets en dernier ressort.

Téléchargez le programme ECF pour les élections du CROEC de Paris Ile-de-France

 

Et la complexité législative ?

En matière fiscale et sociale, ne nous leurrons pas : l'enchevêtrement des règles, les pressions diverses des véritables bénéficiaires des niches fiscales et sociales (non, ce n'est pas le contribuable !), la passion du gouvernement pour la fabrique de nouvelles lois, la volonté d'être utiles des députés qui corrigent ou modifient à coup d'amendements des projets déjà complexes ne laissent espérer aucune simplification à venir.

Dans le Canard Enchainé du 5 octobre 2016, Jean-Vincent Placé, actuel secrétaire d'Etat à la Simplification, « ne se fait plus guère d'illusions sur l'utilité de son job » : « je trouve le système délirant, confie-t-il au « Canard ». Le moindre parlementaire pond des amendements comme un malade, histoire de se faire remarquer ! Moi, là-dedans, j'essaie de freiner, de mettre des sacs de sable partout, des digues pour arrêter l'inondation. J'écope avec une petite cuillère dans un océan. »

On fait le pari que même en cas de victoire en 2017 de la droite, l'ISF ne sera pas supprimé mais simplement allégé et réformé : pression des fondations qui bénéficient d'une aide financière grâce à la réduction de 75%, pression des start-up qui bénéficient d'une aide financière grâce à la réduction de 50% et enfin, blocage par l'administration qui récupère chaque année un moyen bien utile de contrôle et de suivi du patrimoine des contribuables les plus fortunés permettant, phrase magique qui ferait plier le plus libéral des députés, « de lutter contre la fraude et l'optimisation fiscale ».

Fermer le ban : la messe est dite !

Bref, la simplification n'est pas pour demain mais l'automatisation de la complexification et le transfert du traitement des dysfonctionnements aux Conseils Régionaux de l'Ordre, doivent pouvoir permettre de libérer notre énergie à court terme pour s'occuper de la seule chose pour laquelle nos clients nous paient : les accompagner à gérer, développer et optimiser leurs affaires !

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Laurent Benoudiz

Président ECF Paris Ile-de-France
Candidat à la présidence de l'Ordre de Paris Ile-de-France

 

Découvrez le site ECF pour les élections à l'Ordre de Paris : bilan, programme, candidats, propositions...

[1] « Le révolutionnaire, l'expert et le geek, Combat pour l'autonomie » de Gaspard Koenig, Plon, 2015.

[2] La lecture de son livre « une phobie française » paru chez Grasset en mars 2016 raconte surtout la violence de la curée politique et médiatique qu'il dû subir, lui et sa famille, et l'hypocrisie de la classe politique sur ces sujets.

[3] Créées en août 2007, ces exclusions n'ont été rajoutées par le législateur qu'à compter du 1er janvier 2010.

[4] On avait même le temps de faire vieillir les bouteilles pour une consommation optimale !

[5] Pouvant paraître choquants tant nous sommes convertis à demander à l'Etat de tout régler...surtout, et je le partage, en matière de sécurité sociale où la solidarité nationale impose un système commun.

[6] simplification.modernisation.gouv.fr

[7] Le miracle pourrait venir en pratique de l'ubérisation de l'Etat et de ses services par la révolution NBIC en cours. Le problème des taxis du point de vue des utilisateurs (cher et peu nombreux) n'a pu être résolu que par l'arrivée d'Uber qui a démocratisé l'usage d'un véhicule avec chauffeur tout en offrant un travail à de nombreux jeunes sans formation...


La vérité sur la simplification impossible !


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