L'instauration d'une imposition minimale au taux de 15% pour les très grandes entreprises internationales soulève des questions sur le plan comptable. La directive européenne ayant été transposée par la loi de finances pour 2024, faut-il comptabiliser des impôts différés à ce titre ?
L'Autorité des normes comptables (ANC) a apporté sa réponse dans le règlement n°2023-02, qui a été homologué le 26 décembre 2023 par un arrêté.
L'article 53 de la loi de finances pour 2025 apporte des précisions sur ce dispositif d'impôt minimal mondial.
Précédemment, la loi de finances pour 2024 a transposé en droit interne la directive européenne prévoyant un niveau minimum d'imposition fixé à 15% pour les bénéfices des groupes d'entreprises multinationales et groupes nationaux ayant une implantation en France.
L'article 53 transpose certaines instructions administratives publiées par l'OCDE en 2023 dont l'objet était de préciser ou de clarifier les modalités d'application des dispositifs prévus dans le modèle de règles GloBE – Pilier 2, approuvé le 14 décembre 2021 par le Cadre inclusif de l'OCDE/G20.
Les modifications apportées par cet article sont relatives notamment au calcul du TEI, aux entités constitutives non significatives, aux mesures de protection et à la déduction fondée sur la substance. En outre, cet article introduit deux nouvelles catégories de crédits d'impôt, les crédits d'impôt transférables négociables et les crédits d'impôt transférables non négociables.
Cadre juridique de la taxation minimale mondiale
Le 14 décembre 2021, les pays du G20 ont adopté le cadre inclusif de l'OCDE sur le BEPS (Base Erosion and Profit Shifting). Ce texte, qui prévoit l'instauration d'un niveau de taxation mondial minimum au taux de 15%, est souvent désigné par l'expression « Pilier Deux de l'OCDE ». À ce jour, plus de 140 pays en sont signataires.
Les modalités d'application de ce texte au niveau européen sont prévues par la directive (UE) 2022/2523 du 14 décembre 2022. Tous les États membres de l'Union européenne, dont la France, avaient jusqu'au 31 décembre 2023 pour la transposer dans leur droit national. Les règles globales anti-érosion de la base d'imposition (GloBE), sont ainsi entrées en vigueur le 1er janvier 2024 dans de nombreuses juridictions.
Transposition de la directive par la loi de finances pour 2024
La loi de finances pour 2024 a transposé en droit interne la directive « Pilier 2 » et a instauré une imposition minimale mondiale de 15% pour les groupes d'entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure au sein de l'Union européenne, c'est-à-dire les société ou groupe de sociétés dont le chiffre d'affaires consolidé est supérieur ou égal à 750M¤ sur 2 des 4 derniers exercices.
Il est à noter que la loi de finances a repris fidèlement l'essentiel des dispositions de la directive, avec néanmoins quelques ajustements.
Un chapitre est inséré au sein du Code général des Impôts, intitulé « Imposition minimale mondiale des groupes d'entreprises multinationales et des groupes nationaux ». Les dispositions se retrouvent aux articles 223 VJ et suivants du CGI.
Cet impôt se déclenche si le taux effectif d'imposition applicable aux entités situées en France est inférieur à 15%.
L'impôt minimum mondial s'applique aux exercices ouverts à compter du 31 décembre 2023.
Les modifications apportées par la loi de finances pour 2025
L'article 53 de la loi de finances pour 2025 prévoit des aménagements dans la détermination du TEI (taux effectif d'imposition). Celui-ci est le résultat du rapport entre le montant corrigé des impôts sur les bénéfices supporté par les entités constitutives et leur résultat dit « qualifié ».
L'article 53 prévoit que les entités constitutives non significatives puissent, sur option, déterminer leur bénéfice qualifié de manière simplifiée, en se basant sur le montant de leur chiffre d'affaires plutôt que sur leur résultat comptable ajusté.
Par ailleurs, l'article 53 crée deux catégories de crédits d'impôt : les crédits d'impôt transférables négociables et les crédits d'impôt transférables non négociables. Il précise leur traitement dans la détermination du bénéfice qualifié. Les crédits négociables sont assimilés à des crédits d'impôt qualifiés, considérés comme des produits. Les crédits non négociables sont assimilés à des crédits d'impôt non qualifiés, venant en déduction du montant des impôts couverts.
La détermination du montant corrigé des impôts couverts est également affectée par l'article 53 de la loi de finances. Une de ces mesures concerne les entités constitutives non significatives : lorsqu'elles ont exercé l'option citée plus haut, le montant corrigé de leurs impôts couverts correspond au montant de leur impôt sur les bénéfices.
Au bénéfice qualifié est déduit un revenu théorique fondé sur la substance et calculé en fonction de la valeur nette comptable des actifs corporels et des charges de personnel. La loi de finances précise notamment comment déterminer ce revenu fondé sur la substance en fonction du temps de présence de l'actif dans l'entité ou du temps de travail des employés. Elle modifie aussi les modalités de prise en compte des actifs en location dans ce calcul.
L'article 53 apporte également des précisions au régime temporaire de protection qui dispense du calcul complet du TEI les groupes qui entrent dans le champ de l'imposition minimal.
Il aborde aussi l'impôt national complémentaire (INC) et le cas des groupes entrant dans le champ de cet impôt. Il modifie par ailleurs certains de ses paramètres de détermination, de répartition entre les entités du groupe et de paiement.
Entités concernées
L'impôt vise les groupes dont le chiffre d'affaires consolidé de l'entité mère ultime est supérieur ou égal à 750 millions d'¤ par an sur au moins 2 des 4 exercices fiscaux précédents (sauf exclusions spécifiques, telles que les entités publiques, les organisations internationales etc.).
Une entité mère ultime est une entité tenue de consolider par la méthode de consolidation globale une autre entité dans ses états financiers consolidés sans être détenue par une entité dans les mêmes conditions.
Celles-ci doivent donc s'acquitter d'un impôt minimal de 15%, déterminé grâce à 3 notions clés :
- le taux effectif d'imposition (TEI) ;
- la règle d'inclusion du revenu (RIR) ;
- la règle relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII).
Pour rappel, lorsque le TEI est insuffisant, un impôt complémentaire est acquitté par les entreprises concernées par le dispositif pour garantir une imposition effective mondiale minimum à hauteur de 15%.
Toutefois, il existe des régimes de protection permettant de réputer nul ledit impôt complémentaire dès lors que celui-ci ne sera vraisemblablement pas dû. C'est notamment le cas au titre de la règle sur les bénéfices insuffisamment imposés « RBII » dans la juridiction de l'entité mère équipée d'un impôt sur les sociétés avec un taux normal d'au moins 20%. Il s'agit d'un régime temporaire applicable aux exercices clos avant le 31 décembre 2026.
C'est aussi le cas pour les groupes d'entreprises multinationales en phase de démarrage de leurs activités internationales ainsi que les groupes nationaux, pour lesquels une exonération temporaire de cinq ans est prévue.
Elles doivent par ailleurs respecter des obligations déclaratives importantes, qui inquiétaient déjà plusieurs sociétés commerciales concernées :
« [Ces] acteurs, auxquels se sont joints le Medef, l'Association française des entreprises privées (Afep) ou la Fédération bancaire française [...] s'alarment de la quantité et du type d'informations qui devront être fournies dans les déclarations envoyées aux administrations. Ils expriment aussi leurs « vives inquiétudes ”» quant à la protection des données économiques sensibles......] Ils estiment en particulier que s'ils paient déjà plus de 15% d'impôt dans un pays, ils ne devraient pas être obligés de se livrer à des calculs nouveaux pour fournir des données sur chaque entité juridique et sur l'activité consolidée dans ce pays »[2].
En pratique, les obligations déclaratives sont les suivantes :
- les entités concernées doivent indiquer dans leur déclaration de résultat qu'elles appartiennent à un groupe assujetti aux règles GloBE, en renseignant l'identité de l'entité mère ultime, de l'entité déclarante le cas échéant et leur juridiction respective ;
- les entités concernées doivent déposer la déclaration d'information au titre de l'impôt complémentaire (GIR en anglais), dans un délai de 15 mois suivant la clôture (ou 18 mois si c'est la première fois) ;
- dans ces mêmes délais, chaque entité constitutive doit déposer un relevé de liquidation au titre de l'impôt complémentaire le cas échéant.
Un décret du 4 décembre 2024 détaille les obligations déclaratives de ces groupes. Ils devront fournir une déclaration d'informations détaillée sur leur organisation, leurs résultats fiscaux par pays et leurs taux d'imposition effectifs. Un relevé de liquidation devra également être soumis pour le paiement de l'impôt complémentaire. Pour plus de précisions, voir le décret n°2024-1126 du 4 décembre 2024.
La proposition de directive DAC9 qui vise à simplifier les obligations déclaratives a été adoptée par le Parlement européen le 12 février 2025. Après adoption par le Conseil de l'UE, elle devra être transposée par les États membres avant le 31 décembre 2025.
Faut-il comptabiliser dans les comptes consolidés l'impôt différé lié à la taxation minimale de 15% ?
Compte tenu du périmètre de la mesure, les entités concernées sont essentiellement les groupes qui présentent des comptes consolidés, la plupart du temps en IFRS. Cette imposition à venir soulève donc une question technique : faut-il comptabiliser un impôt différé à ce titre ?
Qu'est qu'un impôt différé ?
Les impôts différés peuvent avoir un caractère actif (créance) ou passif (dette). Il reflète la façon dont l'entreprise s'attend, à la fin de la période de reporting, à recouvrer ou régler la valeur comptable de ses actifs et passifs. Cela implique donc de tenir compte :
- du taux d'impôt qui sera applicable à terme ;
- et de la base fiscale de l'actif ou du passif à cette date.
Pour rappel, ce dispositif transposé en droit français par l'article 33 de la loi de finances, aux articles 223 VJ et suivants du CGI, n'est pas entré en vigueur dans l'ensemble des pays signataires de l'accord. Par ailleurs, les modalités de détermination du bénéfice imposable pour l'application de ce dispositif semblent particulièrement complexes, avec de nombreux retraitements, de l'avis de Jean-Charles Boucher, président de la Commission des études comptables de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC)[3].
La position simplificatrice de l'IASB
Les normes IFRS ont été assez simplificatrices en la matière, en permettant aux entreprises de ne pas comptabiliser l'impôt différé tant que le texte n'est pas définitivement arrêté. Cette simplification a pris la forme de modifications de la norme IAS 12.
En pratique, au titre des exercices clos au 31 décembre 2023, les entités concernées n'ont donc pas à constater des écritures comptables au titre des impôts différés actif ou passif relatif à cet impôt minimal. Elles doivent apporter en annexe des informations qualitatives et quantitatives. Ceci inclut notamment la part des bénéfices qui serait soumise à l'impôt complémentaire et le taux effectif d'impôt moyen sur ces bénéfices. Lorsque l'entité est dans l'impossibilité de donner ces éléments, elle doit le préciser.
À compter des exercices clos au 31 décembre 2024, l'annexe doit également contenir des informations relatives à la charge d'impôt exigible résultant de la constatation de l'impôt complémentaire (top-up tax).
Pour fonder ce changement, le normalisateur international évoque « des calculs extrêmement compliqués à l'égard de l'impôt différé dans un contexte déjà très volatil compte tenu du fait que l'application des règles de l'OCDE par les différents territoires se fera à des rythmes et à des moments différents »[4].
Une position similaire de l'Autorité des normes comptables
L'Autorité des normes comptables a suivi la même logique dans son projet de règlement n°2023-02, qui a été homologué par un arrêté du 26 décembre 2023. Ce règlement prévoit ainsi que l'application du dispositif ne donne pas lieu à la comptabilisation d'actifs ou de passifs différés même après la transposition de la directive. Des informations complémentaires devront toutefois être portées dans l'annexe aux comptes annuels.
« Il faudra donner un peu d'informations en annexe pour préciser l'impact que pourrait avoir cette imposition forfaitaire internationale dans les comptes du groupe », Jean-Charles Boucher, président de la Commission des études comptables de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC)[5]
[1] Pilier 2 : analyse économique d'une utopie fiscale, par Julien Pellefigue, Ghislain Papeians, publié sur https://blog.avocats.deloitte.fr/
[2] Impôt minimum mondial : le coup de pression des entreprises françaises, Les Échos, 2 mars 2023
[3] Position exprimée lors des Universités d'été 2023, lors de l'atelier « Panorama de l'actualité comptable ».
[4] Voir « L'IASB publie les modifications d'IAS 12 pour offrir des exceptions temporaires à l'application des dispositions sur les actifs et les passifs d'impôt différé en lien avec les règles sur les impôts du deuxième pilier », sur le site d'IAS Plus.
[5] Position exprimée lors des Universités d'été 2023, lors de l'atelier « Panorama de l'actualité comptable ».