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Entreprises en difficulté : comment trouver les financements ?

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Catégorie : Le monde des entrepreneurs
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Le 17 décembre dernier, Stéphane Cohen, Julien Tokarz et Frank Gentin, président du tribunal de commerce de Paris, avaient donné rendez-vous à la profession comptable francilienne pour évoquer un sujet délicat et ô combien d'actualité : le financement de l'entreprise en difficulté.

  • Comment négocie-t-on avec ses banquiers lorsque la situation se tend ?
  • Sur quels financements porte la négociation ?
  • Que peut-on obtenir ?

Pour faire le point sur les nouvelles opportunités, ils étaient entourés d'experts du financement de l'exploitation, de la restructuration et de la reprise, qui ont livré sans langue de bois, et devant une assemblée de plus de 200 confrères, leurs secrets pour mieux accompagner les entreprises en crise.

Pour commencer, une bonne nouvelle : selon l'avis de tous, les banques spécialisées disposent de nombreuses ressources pour les entreprises en difficulté.

Reste à savoir où les trouver et comment les mobiliser. Comme nous allons le voir au fil des trois tables rondes, les solutions ne sont pas forcément les mêmes selon la situation de l'entreprise et l'ampleur de ses difficultés. Mais une chose est sûre : mieux vaut intervenir le plus tôt possible. En effet, précise Frank Gentin, « une entreprise a toujours plus de facilité à négocier dans le cadre des procédures préventives de conciliation et mandat ad hoc. 75 % des difficultés (en montant des passifs traités) qui sont résolues au tribunal de commerce le sont dans le cadre des procédures de prévention, et cela représente 81 % des effectifs des sociétés faisant l'objet de traitement de difficultés. »

 

Le financement de l'exploitation

Mais venons-en au sujet de la première table ronde. A qui s'adresser quand les difficultés s'installent et que les banques traditionnelles commencent à tourner le dos ?

Première solution : les banques spécialisées et/ou les directions « affaires spéciales » des banques classiques.

Comme nous l'explique Patrick Seignemartin, directeur des affaires spéciales du Crédit du Nord, le « banquier en affaires spéciales est un urgentiste. Plus que le bilan, il regarde surtout si l'entreprise peut survivre dans les mois qui viennent. » Jocelyne Marti, directrice de la Banque Delubac, renchérit : « nous intervenons lorsque les autres banques ne veulent, ou ne peuvent pas intervenir, et nous sommes connus comme la banque dite judiciaire. Mais nous pouvons également accompagner les sociétés in bonis afin de les aider à financer leur court terme, c'est-à-dire leur poste client essentiellement. »

Benoît Robet, associé gérant de Haro, société spécialisée dans le gage sur stock, nous présente une autre solution de financement. « Le gage est une procédure qui permet à une entreprise d'apporter en garantie un stock de marchandises pour l'octroi d'un crédit à court ou moyen terme », explique-t-il. Il peut se faire « avec dépossession », quand la marchandise est placée dans un espace défini, ou « sans dépossession », quand la valeur de la marchandise est simplement inscrite au tribunal de commerce.

Dans ce type de procédure, Haro joue le rôle de conseil pour vérifier que le type de marchandises se prête à la mise en place d'un gage et évaluer la valeur marchande des biens (et non pas la valeur comptable). Apprécié des créanciers, pour qui la détention de marchandises constitue une garantie sûre, le gage sur stock s'adresse à tous les types d'entreprises, dans tous les secteurs d'activités et est parfois même utilisé par des entreprises en bonne santé, pour financer leur croissance.

Autre mécanisme encore peu connu, du moins en France, la fiducie consiste à confier temporairement à un tiers la gestion d'un actif. Il peut s'agir d'un immeuble, d'un stock, de propriété intellectuelle...

« Le gros avantage, nous explique Vincent Blandin, associé du cabinet Ricol et Lasteyrie, c'est que la fiducie prend effet immédiatement et qu'elle permet de mettre les biens transmis à l'abri des revendications des créanciers en cas de procédure collective. La fiducie est toujours respectée. » Mais de tels avantages ne vont pas sans un certain formalisme ainsi que des conséquences fiscales, qui peuvent parfois rebuter certains.

Mais notre tour de table ne serait pas complet sans donner la parole à un administrateur judiciaire, ces véritables sapeurs-pompiers de l'entreprise en difficulté.

Laurent Le Guernevé, qui s'est notamment fait connaître dans le cadre de la sauvegarde d'Eurotunnel, nous parle d'une mesure récente bienvenue pour les sociétés en crise : l'extension du privilège de la new money. En effet, depuis l'ordonnance du 12 mars 2014, lorsqu'un créancier vient concourir pendant la phase de conciliation, il bénéficie dès lors du privilège de new money. Un bon moyen de sécuriser la position des créanciers et donc de les encourager à prêter main forte aux chefs d'entreprise, avant qu'il ne soit trop tard.

 

Le financement de la restructuration

La new money peut également être utilisée pour financer la restructuration.
Mais dans ce cas, en cas d'entrée au capital quel partage opérer ?
Quels sont les critères à respecter ?

Pour Stéphane Cohen, la règle numéro 1 est que les fondamentaux soient bons : « on ne peut pas faire de l'acharnement thérapeutique si l'entreprise n'a pas des bases solides ». Il faut aussi avoir « un deal équilibré entre la old et la new money » et que chacun, actionnaires, managers, créanciers... soient convaincus de la nécessité impérieuse de faire entrer de la new money le cas échéant au capital. Dès lors, en s'entourant d'expert-comptable, avocat, administrateur judiciaire, « l'entreprise doit être prête à subir des vérifications rapides, à être très transparente sur ses forces, ses faiblesses, l'origine de ses difficultés, pour pouvoir convaincre les prêteurs de l'intérêt d'assurer la pérennité de l'entreprise. »

Mais finalement, quels sont les critères d'investissement des créanciers ?
A quoi sont-ils attentifs quand une entreprise frappe à leur porte ?

Sur ce sujet, Franck Kelif, directeur associé de Perceva, fonds d'investissement spécialisé dans le financement de la restructuration, et Benoît Sellam, président du Fonds de consolidation et de développement des entreprises (FCDE) répondent à l'unisson : trois questions sont essentielles avant d'investir : « est-ce qu'il y a une équipe ? est-ce qu'il y a un marché ? est-ce qu'il y a un savoir-faire ? » Les fameux « fondamentaux » dont nous parlait déjà Stéphane Cohen tout à l'heure. Pour le dire autrement, « un fonds d'investissement peut intervenir si les problèmes d'une entreprise sont conjoncturels, et non pas structurels », résume Benoît Sellam. Franck Kelif ajoute qu'il est indispensable aussi d'avoir du temps : « du temps pour comprendre l'entreprise, du temps pour lui permettre de se repositionner. 5-8 ans en moyenne ». Ces conditions réunies, Perceva prête entre 5 et 45 millions d'euros, à des entreprises qui font entre 40 et 400 millions d'euros de chiffres d'affaires. Le FCDE investit quant à lui entre 4 et 20 millions d'euros au capital d'entreprises qui font entre 20 et 300 millions de chiffres d'affaires.

Et concrètement, Benoît Sellam nous raconte la success story d'une entreprise de e-logistique, qui souhaitait développer une solution automatisée de picking pour optimiser la logistique pour le e-commerce. Un marché en pleine croissance, un chef d'entreprise visionnaire, une capacité d'innovation : les ingrédients du succès sont là. Le FCDE met sur la table 7 millions d'euros, ce qui provoque un bel effet de levier auprès des autres banques, qui prêtent à leur tour 9 millions. En plus de son investissement, le FCDE met en place un vrai accompagnement pour épauler l'entreprise : renforcement de l'équipe de management, mise en place d'un board, nomination d'un administrateur indépendant... Résultat : forte de son succès, cette entreprise a brillamment été rachetée par un géant de l'e-commerce, qui va déployer massivement à l'étranger cette solution française de picking et faire de cette entreprise française sa tête de pont logistique en Europe.

Mais dans le cadre d'une restructuration, il existe aussi un autre mécanisme de financement, encore peu connu, qui est celui de la prise de contrôle par l'acquisition de la dette. Cette procédure permet d'effacer une partie de la dette et de renforcer ses fonds propres : concrètement, un tiers rachète la dette et devient en échange actionnaire de l'entreprise. Selon Stéphane Cohen, « c'est particulièrement intéressant pour les entreprises ayant trop de dettes, mais qui peuvent néanmoins retrouver rapidement de la rentabilité. » Même si se débarrasser de ses dettes ne suffit pas et qu'il faut accompagner cette mesure d'autres formes d'investissements, cette solution gagnant-gagnant a déjà fait ses preuves aux États-Unis et commence à se développer aussi en France, avec des retournements comme Monceau Fleurs, Cybergun et Vivarte.

 

Et le financement de la reprise ?

Première question : comment évalue-t-on le prix de la reprise ? « La réponse n'est pas la même », nous explique Michaël Cahn, avocat spécialisé en restructuring, « selon que l'entreprise poursuit ou non son activité. On sait mieux valoriser les dettes et les actifs dans les procédures de préventions, que ce soit en mandat ad hoc ou en conciliation. » « Le financement de la reprise est un sujet très délicat », précise Franck Kelif : « ce qui compte, c'est la résistance de l'entreprise, sa capacité à tenir bon, malgré la chute de confiance, la perte de clients, la baisse du chiffre d'affaires, inévitables quand on traverse une crise. »

Heureusement, il existe des aides publiques pour financer la reprise d'entreprise. C'est le cas par exemple du dispositif Rebonds, proposé par le Conseil régional d'Île-de-France, « une fusée à quatre étages, conçue pour soutenir les entreprises en difficultés, à toutes les étapes de leur histoire », explique Gaël Treholan. Prévention, pour les entreprises qui rencontrent des difficultés conjoncturelles de trésorerie, Accompagnement, pour favoriser le recours aux procédures amiables, Sauvegarde pour contribuer à la restructuration des PME/PMI confrontées à des difficultés structurelles et enfin Reprise, pour favoriser la reprise d'entreprises en difficulté par une entreprise saine.

Dans ce dernier cas, les subventions peuvent aller jusqu'à 200 000¤, calculées en fonction du nombre d'emplois repris, dans la limite de 10 à 20 % du coût salarial selon les cas. Un vrai coup de pouce donc, qui s'inscrit dans une volonté de préserver les emplois et d'intervenir le plus tôt possible. Depuis son lancement en mai 2014, l'ensemble du dispositif Rebonds a déjà permis de maintenir plus de 2 000 emplois.

Fil rouge de l'année 2014, la thématique du financement, avec cette dernière conférence a permis de démontrer que même pour les entreprises en difficulté, des opportunités existent. Car comme le résume bien Franck Kelif, « quand on a un beau projet, on finit toujours par trouver des financements. Et pour mettre toutes les chances de son côté, il ne faut pas hésiter à combiner les différentes solutions, à mettre le paquet, pour repartir de plus belle. »

 

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Article publié dans la revue Le Francilien - numéro 88 - hiver 2014

Publication sur Compta Online en partenariat avec le Conseil Régional de l'Ordre des experts-comptables de Paris Ile-de-France

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