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Experts-comptables : quelles missions demain ?

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Catégorie : Actualité des métiers du chiffre
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Etude exclusive autour de la transformation  de la profession comptable

Après une première étude remarquée sur l'uberisation de la profession, Les Moulins, le think tank de la profession comptable, s'est attelé à une nouvelle question fondamentale pour l'avenir des cabinets : quelles missions demain ?

Les auteurs reviennent dans cet article sur les grandes conclusions de cette étude [1].

Si votre but, en lisant cet article, est de trouver un outil miracle ou une recette magique qui fait tomber du ciel les missions prêtes-à-l'emploi, épargnez-vous cette lecture : ce genre d'outil n'existe pas !

L'objectif de cet article, qui s'appuie sur la dernière étude des Moulins, est d'aider les experts-comptables à découvrir, explorer et conquérir de nouveaux territoires. Concrètement, cette étude a pour ambition de présenter des méthodes qui permettront aux experts-comptables de détecter les missions qui remplaceront demain les métiers traditionnels de la profession d'aujourd'hui.

Or, contrairement à ce que pourraient laisser penser les dizaines de listings de missions publiés au cours des dernières années, une mission n'est pas bonne ou mauvaise dans l'absolu. Elle est bonne ou mauvaise en fonction des caractéristiques de chaque cabinet : son histoire, ses clients, ses collaborateurs, sa stratégie (si si, il parait que certains cabinets ont une stratégie...), son implantation géographique, ses concurrents, etc. Plus une mission « ressemble » au cabinet, plus elle est naturelle, cohérente, évidente, légitime et plus son potentiel de succès est élevé. Autrement dit, l'objectif de cette étude est d'apprendre, cabinet par cabinet, à cibler les missions pertinentes pour sortir du fantasmatique « marché potentiel du conseil » dont tout le monde parle, et qui, tel le dahu, est certes énorme, mais que personne n'a jamais rencontré !

 

Le conseil dans la profession

Le conseil [2], on en parle depuis 30 ans dans la profession. Les clients en veulent, les experts-comptables veulent en faire, les experts-comptables peuvent en faire et ils en ont souvent la compétence et la légitimité. Et, pourtant, il ne s'est pas passé grand-chose au cours des dernières années, avec, in fine, une part du conseil facturé séparément qui plafonne à 7% du chiffre d'affaires des cabinets de moins de 50 collaborateurs depuis plus de 10 ans [3].

L'objectif de cet article n'est pas de revenir sur les raisons de cette situation (pour ça, il vous faudra lire l'intégralité de l'étude des Moulins), mais de fournir des pistes de réflexion pour sortir de cette situation dans laquelle le conseil est offert et de bâtir un modèle de cabinet dans lequel le conseil est facturé.

  • Car les cabinets n'ont plus le choix ! La mission comptable est en effet inexorablement amenée à s'automatiser de plus en plus avec l'arrivée des logiciels de 4ème génération. Les experts-comptables vont donc devoir trouver de nouvelles sources de revenus et de nouvelles activités pour leurs collaborateurs.
  • Pour cela, les cabinets ne devront se contenter d'ajouter quelque chose à une mission d'aujourd'hui, mais bien créer une mission de demain. Celle qui créera de la valeur et de l'utilité pour les chefs d'entreprise et donc qu'ils seront prêts à payer.

Cela dit, le conseil est un vrai métier. Un métier qui s'appuie sur des règles différentes, sur un modèle économique différent, sur des process différents, qui nécessite des compétences et un comportement différents. Un métier qui n'est pas celui des experts-comptables. La capacité des experts-comptables à faire du conseil est en effet souvent (toujours ?) posée comme un postulat : du fait même qu'ils ont obtenu leur diplôme, ils seraient en mesure de faire du conseil. Sauf que faire du conseil n'est pas inné et que le diplôme d'expertise comptable ne saurait être un sésame automatique pour de telles activités. Les professionnels du chiffre vont donc devoir se former, apprendre, s'adapter, y consacrer du temps. On ne peut raisonnablement pas espérer faire du conseil entre deux bilans. La bonne nouvelle, c'est que c'est possible. La moins bonne nouvelle, c'est que cela n'est pas simple, que cela prend du temps (beaucoup de temps) et que cela ne se fera pas sans une certaine volonté.

 

L'analyse des missions

Jusqu'à présent, les missions de la profession n'ont jamais vraiment fait l'objet d'analyses approfondies. Les quelques classements réalisés par le passé étaient plutôt symboliques ou pédagogiques, sans que le moindre enseignement concret et opérationnel en soit tiré.

Cette absence de décryptage (et donc de connaissance) des missions est évidemment un frein à leur compréhension et donc à leur mise en ½uvre. Comment, en effet, décider de développer telle mission de préférence à telle autre si on ne les connaît pas bien ? Si on ne dispose pas d'éléments objectifs de comparaison ?

Ne pas décrypter les missions c'est se condamner à les aborder de manière identique, sans tenir compte de leurs particularités. Or ces missions sont, par essence, toutes différentes. Elles nécessitent des approches différentes, des méthodes et des ressources différentes. L'amalgame entre toutes les missions condamne à une analyse globale et, in fine, illisible.

Pour mener cette analyse des missions, Les Moulins ont filtré une centaine de missions susceptibles d'être réalisées par des experts-comptables via deux séries de critères :

  • des critères discriminants (proximité avec le champ d'intervention traditionnel, profil des intervenants qui réaliseront la mission, obligation légale ou administrative).
  • des critères accessoires (récurrence, rentabilité, valeur ajoutée pour le client, reproductibilité, retombées post-mission...).

 

La classification des missions

De cette analyse [4], les auteurs de l'étude ont déterminé quatre grandes catégories de missions, ce qui permet de comprendre le mode de fonctionnement de chacune d'entre elles, d'identifier les principales difficultés pour les développer et de modéliser le comportement à adopter face à chaque catégorie de missions. En effet, il est absolument essentiel de rappeler qu'il n'y a pas de bonne mission dans l'absolu. Une mission est bonne si ses caractéristiques sont compatibles avec le cabinet, avec ses clients et ses collaborateurs. C'est pourquoi, il est indispensable, avant de se lancer, de bien connaitre les caractéristiques des différentes missions (et, naturellement celles de son cabinet).

Revenons sur le détail de ces différentes missions.

Les missions de production

Les missions de production assurent aujourd'hui une part écrasante du chiffre d'affaires des cabinets (près de 90%, hors commissariat aux comptes). Ce sont les missions en lien avec une obligation légale ou administrative du client. Elles englobent les missions de production dans les domaines comptable, fiscal, social et juridique.

Ces missions, récurrentes, voire quasi-permanentes, sont réalisées pour l'essentiel par des collaborateurs au profil généraliste. Elles sont souvent facturées au forfait [5]. Banalisées, elles apportent peu de valeur ajoutée aux clients qui y voient juste l'externalisation d'une obligation paperassière.

De moins en moins rentables compte tenu de la concurrence et de l'érosion des prix, ces missions requièrent des logiciels assez sophistiqués, qui contribuent largement à la réalisation de la mission. Les méthodes de production de ces missions sont en effet très industrialisées. Ces missions seront donc évidemment fortement impactées par l'arrivée imminente des nouveaux outils de production.

Les missions d'accompagnement

Ces missions relèvent de l'accompagnement de proximité. Elles ne sont liées à aucune obligation légale ou administrative du client. Elles sont généralement récurrentes et comprennent notamment : l'accompagnement de gestion récurrent (accompagnement au pilotage, suivi de trésorerie, situation intermédiaire...) ou plus ponctuel (calcul des coûts de revient, prévisionnel...) et l'accompagnement administratif (conciergerie/gestion du courrier, secrétariat, facturation pour le compte du client, suivi des encaissements clients...).

Ces missions sont principalement assurées par des collaborateurs comptables au profil généraliste. Elles sont souvent facturées au forfait, que la mission soit ponctuelle ou récurrente. Mal cernées et mal identifiées, elles sont encore très peu répandues dans les cabinets. Pourtant, elles apportent aux chefs d'entreprise une valeur bien supérieure aux missions de production, en les déchargeant de tâches administratives, en les aidant dans leur prise de décision et dans le pilotage courant de leur entreprise. Elles présentent donc une forte « utilité ajoutée ».

Trop souvent négligées, ces missions d'accompagnement méritent pourtant le plus grand intérêt de la part des experts-comptables. En effet, non seulement elles présentent de fortes synergies avec les missions de production, mais elles sont, par ailleurs, les seules missions qui permettent aux cabinets de développer leur chiffre d'affaires en s'appuyant sur leurs équipes comptables traditionnelles.

Les missions de conseil

Les missions de conseil, souvent exceptionnelles, portent sur les disciplines traditionnelles de la profession : comptables, fiscales, sociales, juridiques. Il s'agit de missions à haute valeur ajoutée, qui, compte tenu de leur technicité, sont réalisées pour l'essentiel par un expert-comptable ou un consultant spécialisé de haut niveau. Ces missions comprennent le conseil et l'optimisation en matière fiscale ou sociale, les montages juridiques et financiers, l'accompagnement à la transmission d'entreprises, la gestion de patrimoine, mais aussi l'externalisation des fonctions comptables financières, la formation dans les champs de discipline habituels...

Dans la mesure où ces missions sont réalisées par l'expert-comptable ou quelqu'un de même niveau, elles ne présentent pas un grand potentiel de développement à court terme. En outre, elles exigent un niveau de compétences élevées qui implique une formation complémentaire aux études traditionnelles d'expertise comptable (diplôme d'université, formation continue, mooc, actualisation régulière des connaissances...). En outre, ces missions ne permettront pas, à court terme, de compenser la perte probable de chiffre d'affaires sur les missions production, ni d'occuper les collaborateurs dés½uvrés par la réduction des interventions humaines dans ces missions.

Souvent facturées au forfait, voire au forfait assorti de success fees [6], ces missions dégagent généralement une assez belle rentabilité ; mais elles sont peu industrialisables, même si de plus en plus de logiciels permettent d'alléger certains travaux notamment calculatoires.

Ces missions de conseil s'adressent, comme les missions d'accompagnement, au portefeuille des clients traditionnels du cabinet (qui achètent les missions de production), mais pas seulement. Ces missions peuvent d'ailleurs avoir un impact tout à fait positif sur l'image de l'expert-comptable auprès de clients.

Les missions « hors-piste »

Cette dernière catégorie de missions est totalement marginale pour l'heure dans la profession. Elle concerne des missions de conseil sur mesure, en dehors de la sphère de compétence traditionnelle de l'expert-comptable : stratégie, marketing, ressources humaines, informatique, conduite du changement, transition numérique...

Marché de niche par excellence, ces missions nécessitent une implication forte d'un spécialiste de la discipline. Ce dernier peut évidemment être expert-comptable, à la condition qu'il ait complété lourdement ses compétences d'origine. Cela passe, par exemple, par un diplôme d'université dans une spécialisation assez éloignée du métier traditionnel.

Très intuitu personae, ces missions sont peu industrialisables, ce qui réduit de facto leur potentiel de développement. En outre, elles ne constituent pas une alternative pour les collaborateurs généralistes qui vont voir leur activité de production se réduire.

L'arbre d'analyse des missions

Afin de catégoriser chacune des missions envisagées par les cabinets, Les Moulins ont construit l'arbre de décision suivant.

L'arbre d'analyse des missions

 

 

Quelques fondamentaux sur les nouvelles missions

Des missions d'accompagnement aux missions hors-piste, le champ des possibles est extrêmement vaste pour les experts-comptables. D'où la nécessité de faire des choix en fonction des spécificités de son cabinet : son histoire, son positionnement, ses clients, ses collaborateurs... Rappelons en effet qu'une mission n'a des chances de succès que si elle cohérente avec ce qu'est le cabinet, qu'elle respecte son ADN.

Si toutes ces missions de conseil au sens large sont par définition différentes, elles présentent néanmoins des points communs qui les distinguent des missions de production auxquelles sont habituées les cabinets :

  • En matière de conseil et d'accompagnement, il faut impérativement distinguer la mission et le livrable. Dans le cadre d'une mission de production, le travail est terminé une fois le livrable remis au client. Dans le cas des missions de conseil et d'accompagnement, le vrai travail attendu par le client commence souvent à ce moment-là. En effet, le client n'attend pas un livrable, il attend des rencontres, des échanges, des contacts, une aide à la décision ; bref, un service, pas un produit [7]. Autrement dit, l'humain est au c½ur des missions de conseil et d'accompagnement. C'est en effet le décryptage, la pédagogie et la confrontation avec le consultant qui constituent la véritable valeur ajoutée de la mission.
  • En matière de conseil et d'accompagnement, l'outil ne fait pas la mission [8]. Dans les missions de conseil, plus on s'éloigne de la production, moins l'outil informatique est stratégique. Les logiciels permettent en effet uniquement de préparer les supports et d'alléger certains travaux. Le logiciel doit donc garder sa place, c'est-à-dire une aide à la production des missions, une fois que celles-ci sont clairement définies et formalisées. Un logiciel est un outil ; il doit être au service d'une stratégie (pas l'inverse).
  • L'automatisation va augmenter le niveau des prestations. Au-delà des conséquences immédiates sur la production de la mission de base, de nombreuses études démontrent que l'automatisation a pour conséquence d'augmenter le niveau de gamme des prestations proposées. En effet, dans la mesure où l'entreprise produit ses prestations historiques par le biais de logiciels, elle cherche à développer de nouveaux services, à plus forte valeur ajoutée, pour fidéliser les clients et maintenir son chiffre d'affaires.

Dans le cadre d'un prochain article, nous reviendrons sur la mise en ½uvre concrète de cette démarche de recherche de nouvelles missions au sein d'un cabinet. Ou, pour le dire autrement, comment passer de la feuille blanche à la facture...

Fichier PDF

Téléchargez l'étude du Think Tank Les Moulins : « quelles missions demain ? »

Philippe Barré

Philippe Barré
Expert comptable et Commissaire aux Comptes    
b-ready - Conseil et accompagnement des professions réglementées

Ludovic Melot

Ludovic Melot
Consultant de la profession comptable
b-ready - Conseil et accompagnement des professions réglementées

[1] Librement téléchargeable à l'adresse suivante : www.lesmoulins.club

[2] Dans le cadre de cet article, comme dans celui de l'étude des Moulins, les auteurs ont considéré que les termes « nouvelles missions », « missions de conseil », « missions d'accompagnement et de conseil » sont synonymes et utilisées indifféremment. Ces missions recouvrent toutes les missions de conseil et d'accompagnement non-traditionnelles, facturées en plus de la « mission de base », quelle qu'en soit la nature ou la discipline.

[3] Observatoire de la profession comptable, CSO, « La gestion des cabinets d'expertise comptable, 2014 ».

[4] Qui permet, rappelons-le, de décortiquer chaque mission afin d'en bien comprendre les contours et le fonctionnement.

[5] A l'exception toutefois de la mission paie qui, depuis quelques années, est de plus en plus facturée à la tâche.

[6] Rappelons que les success fees n'étant pas interdits (sauf pour certaines missions), ils sont donc autorisés !

[7] Pour reprendre l'exemple bien connu dans la profession des tableaux de bord, le client ne veut pas des tableaux de chiffres dont il ne saura que faire. Il veut qu'on professionnel lui décrypte ses chiffres pour l'aider à prendre des décisions et piloter sereinement son entreprise.

[8] Alors que le cas dans le cadre des missions de production.


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