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La démission de l'expert-comptable : des impératifs contradictoires ?

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Catégorie : Actualité des métiers du chiffre
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En pratique LexisNexis : la démission de l'expert-comptable

Par Julien Gasbaoui, Avocat au Barreau de Paris, Maître de conférences associé à l'Université Aix-Marseille et Jean-Noël Stoffel Maître de conférences à l'Université Aix-Marseille.

Ce premier « En pratique » inaugure une nouvelle rubrique de la Revue D.O Actualité (LexisNexis) dont l'objectif est d'accompagner les experts-comptables et les commissaires aux comptes dans la prévention des multiples risques liés à l'exercice de leur activité.

Souhaitant diffuser l'expérience pratique d'un avocat et les connaissances théoriques d'un universitaire, les auteurs de cette fiche et de celles qui suivront fixent quelques repères visant à identifier le risque et à le circonscrire en vue de le réduire.

Le premier thème proposé est relatif à la démission de l'expert-comptable.

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La démission de l'expert-comptable est encadrée déontologiquement et lorsqu'on envisage de la mettre en œuvre, l'objectif doit bien évidemment être de respecter ces règles pour éviter une condamnation.

Par principe, l'expert-comptable doit exercer sa mission jusqu'à son terme normal. Toutefois, il peut, en s'efforçant de ne pas porter préjudice à son client ou adhérent, l'interrompre pour des motifs justes et raisonnables, tels que la perte de confiance manifestée par le client ou l'adhérent ou la méconnaissance par celui-ci d'une clause substantielle du contrat. L'article 156 du Code de déontologie des professionnels de l'expertise comptable retient ici une solution dérogatoire par rapport à celle qui a cours en droit commun des contrats (C. civ., art. 1212).

L'article 157 du Code de déontologie ajoute que les experts-comptables « ont l'obligation de dénoncer le contrat qui les lie à leur client ou adhérent dès la survenance d'un événement susceptible de les placer dans une situation de conflit d'intérêts ou de porter atteinte à leur indépendance ».

La mission de l'expert-comptable est complexe dans son esprit : professionnel tenu au secret professionnel devant assister son client dans le cadre de la lettre de mission qui les lie, il est aussi tenu « d'appliquer et de faire appliquer la loi » (article 143 du Code de déontologie des experts-comptables). Si a priori ces exigences n'ont rien de contradictoire, la pratique révèle que selon les intérêts poursuivis il y aura parfois divergences. C'est ainsi que l'expert-comptable peut se trouver exposé à des risques, qu'il décide de démissionner ou de poursuivre sa mission. Tout est une question de perspectives.

Le client, lui, ne voit en général que les échéances fiscales, et en tout état de cause exige que les déclarations soient établies et que les comptes annuels lui soient transmis dans les délais, sans s'interroger sur sa propre responsabilité : a-t-il adressé les pièces justificatives suffisamment tôt, est-il même en possession desdites pièces, sont-elles régulières et sincères ? Or, le client oublie l'essentiel : l'expert-comptable, selon une formule désormais connue, n'est pas un simple scribe.

Son rôle ne « saurait se limiter à un rôle de scribe pour la simple collecte des éléments fournis par l'entreprise et la mise en forme de la présentation finale de ces comptes (...) la mission de présentation des comptes est une mission d'opinion justifiant de la part du professionnel du chiffre la manifestation d'un esprit critique sur les éléments qui lui dont fournis » (CA Orléans, 24 nov. 2008, n° 06/03060).

C'est précisément ce rôle critique qui le mettra en porte à faux s'il a été négligent, et qui fera dire à un juge pénal qu'il a pu être le complice de son client. Autrement dit, là où le client exige rapidité et confiance absolue en menaçant le cas échéant d'une mise en cause civile, un procureur, lui, exige un examen critique qui, s'il fait défaut, pourrait fonder des poursuites pénales.

Loin d'aboutir systématiquement, une procédure pénale est toujours mal vécue, spécialement si elle donne lieu à des gardes à vue (Sur cette question V. J. Gasbaoui, L'audition de police de l'expert-comptable – Revue Lamy droit des affaires, Les cahiers du chiffre et du droit, n° 132, déc. 2017) ou se trouve ébruitée, comme trop souvent, et entache la réputation d'un cabinet.

Pris entre deux feux, l'expert-comptable se trouve donc dans une situation difficile lorsque se pose la question de sa démission :

  • d'un côté, le client n'hésitera pas à mettre en cause son expert-comptable sur le plan civil, en expliquant, par exemple, que si les déclarations fiscales n'ont pas été établies dans les délais c'est à cause de la démission de celui-ci ;
  • de l'autre, le juge pénal pourrait tenter de retenir une complicité de comptes non fidèles ou de fraude fiscales si la comptabilité renferme des anomalies qui auraient échappé au même expert-comptable décidant de maintenir sa mission.

Il est parfois possible d'éviter ces deux risques mais il est des cas où il faut savoir choisir le moins préjudiciable.

 

La démission sans risque

Nous partons là du postulat que le choix de la démission est arrêté. La raison en est simple : il n'est plus possible d'assister le client sans s'exposer à un risque.

Quelques précautions formelles doivent être prises.

Tout d'abord, la fin de mission doit être datée et écrite. Elle doit clairement exposer les raisons de la rupture, et doit dans l'idéal faire suite à une mise en demeure, pas forcément au sens technique du terme, mais l'idée est que le client doit comprendre que c'est son attitude qui conduit l'expert-comptable à démissionner.

Exemple

« Cher Monsieur, à la suite de nos demandes du X et du X, nous constatons que nous n'avons toujours pas de pièces justificatives concernant les opérations du X et du X. Dans ces conditions, et comme nous vous l'avons déjà indiqué, il ne nous est pas possible de poursuivre notre mission ».

Les raisons d'une démission sont hélas assez classiques : les pièces justificatives ne parviennent pas au cabinet, certains flux sont douteux et laissent à penser que des infractions sont commises, certains ratios sont anormaux etc.

Ensuite, cette démission doit intervenir suffisamment tôt, si possible plusieurs mois avant la clôture de l'exercice.Plus la résiliation est brutale et proche de ladite clôture, plus les précautions formelles doivent se multiplier.Bien souvent, le client qui annonce les justificatifs à venir n'est pas convaincant. Il faut lui écrire dès ses premières promesses orales que le temps passe et que la date de clôture approche.Cela étant, le problème tient le plus souvent aux délais tardifs et au risque de mise en cause pour rupture brutale de la mission, plaçant le client face à une impossibilité d'établir sa comptabilité.

L'expert-comptable ne doit toutefois pas se laisser piéger, et revenir aux fondamentaux.

 

La démission : un risque à prendre

Face à un client procédurier mais qui n'est pas diligent, la démission est un risque à prendre. Plus précisément, entre un risque de mise en cause devant un juge civil, par le client, et un risque de mise en cause pénale, comme complice du client, il faut toujours préférer le premier risque.

Un risque normalement limité. D'autant que si ladite démission a été correctement formalisée et motivée, le client sera débouté. Il faut en effet garder présent à l'esprit que le client doit travailler en collaboration avec son expert-comptable. Suivant une formule classique des lettres de mission : il s'engage « à mettre à la disposition du professionnel comptable, dans les délais convenus, l'ensemble des documents et informations nécessaires à l'exécution de la mission (...) ». C'est dire qu'en cas de démission, ce n'est pas l'expert-comptable qui est défaillant, mais bien le client, qui ne répond pas à son obligation. Soit il est négligent et en l'absence de pièce justificative il n'est pas possible d'établir des comptes, soit il est malhonnête, et dans la mesure où l'expert-comptable s'interroger sur la réalité de l'activité, l'existence de faux, ou tout autre anomalie, sa seule réponse tient dans la démission. La Cour d'appel de Pau résume très bien cette problématique :

Les travaux d'établissement de comptes par un expert-comptable « ne pouvaient être finalisés qu'en conformité avec les règles comptables, fiscales et mêmes pénales en retraçant des opérations conforme au droit ; que l'expert-comptable est en droit d'exiger les documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission et qu'en cas de refus ou comme en l'espèce de coopération de son client, il est en droit de se démettre de la mission qui lui a été confiée » (CA Pau, 2 nov. 2009, n° 08/00284).

Un risque à évaluer. Est-ce à dire qu'un expert-comptable doit systématiquement démissionner face à un client négligeant ? Évidemment pas, mais il doit s'en tenir à sa déontologie : si un doute existe et que le client n'a pas su le lever en répondant à sa question, la méfiance qui s'installe doit le conduire sur cette voie.

Contrairement aux commissaires aux comptes, l'expert-comptable est donc condamné à faire confiance ou à abandonner sa mission en cas de difficulté trop grave pour ne pas s'exposer à un risque.

A retenir

  • l'expert-comptable doit formaliser les relances auprès de son client pour obtenir des pièces justificatives : il sera inutile de revendiquer des mises en garde verbales en cas de procès ;
  • l'expert-comptable doit démissionner lorsqu'il craint d'établir des comptes renfermant des pièces justificatives irrégulières ou lorsque ces pièces ne lui sont pas transmises ;
  • l'expert-comptable doit formaliser sa démission et identifier les problèmes posés : rien de pire que de rester au milieu du gué !
  • l'expert-comptable peut démissionner même après avoir été une première fois dupé : s'il prend conscience que les comptes renferment des irrégularités sur les années passées, il doit refuser d'être pris en otage par le client et démissionner au moment où il prend conscience de l'existence des infractions !

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