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#PACTE #Sénat : lettre à Mme la Présidente de la Commission spéciale Loi Pacte

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Catégorie : Actualité des métiers du chiffre
Dire qu' « au fond la profession a déjà accepté la réforme » : un malentendu

Pierre-Michel DAVID, expert-comptable et commissaire aux comptes chez AUDIT CONTRÔLE ET CONSEIL a adressé un courrier à Madame la présidente de la commission spéciale en charge de l'examen de la loi PACTE devant l'Assemblée nationale.

Il rappelle le rôle des commissaires aux comptes, les conséquences de l'article 9 et conteste l'acceptation de la réforme par les professionnels.

Madame la Présidente,

Votre commission est en charge de l'examen du projet de loi Pacte, dont l'objectif louable est de favoriser la croissance des entreprises françaises.

Je suis commissaire aux comptes et je souhaite apporter un éclairage et attirer votre attention sur les conséquences prévisibles de l'article 9 de la loi.

 

Une réforme contraire à l'intérêt général

La suppression de l'obligation de certification des comptes de 150 000 PME sur une total de 220 000 mandats, n'est pas seulement une remise en cause des commissaires aux comptes totalement inédite et d'une ampleur sans précédent. C'est aussi, et surtout, une mesure contraire à l'intérêt général.

En contrepartie d'un avantage très modeste pour les PME [1], les conséquences sont prévisibles : augmentation des risques d'erreur, de fraudes, rétrécissement de l'assiette imposable et baisse des rentrées fiscales, manque de transparence, perte de confiance des utilisateurs des comptes ....

D'autres pays ont fait l'amère expérience du relèvement des seuils d'audit et font aujourd'hui marche arrière. L'Italie considère que le coût de l'audit est largement compensé par le gain économique qui résulte de la survie des entreprises. Le recours au commissaire aux comptes devient obligatoire dès le dépassement d'un des 3 seuils [2].

Alors que la lutte contre le blanchiment et la fraude fiscale sont des priorités proclamées, il est paradoxal d'affranchir les PME du contrôle des commissaires aux comptes dont l'action dans ces domaines sensibles est au c½ur de leur mission.

Nous n'ignorons pas que les organisations patronales approuvent cette réforme ; mais ils approuveraient aussi avec grand enthousiasme, n'en doutons pas, une proposition aussi improbable que la suppression des contrôles fiscaux dans les PME.

 

Un projet incohérent contraire à l'esprit de la Directive Européenne

L'application sans nuance des critères envisagés ne permettra pas de différencier de façon pertinente la taille des entreprises, alors que c'est là l'objectifs assigné par la Directive européenne elle-même dans son attendue n°12 [3].

Il est patent que le critère du total bilan est biaisé dans plusieurs situations courantes de la vie des PME. Celles dont les ventes sont au comptant et qui n'ont pas d'encours clients, celles qui financent leurs actifs par crédit-bail, ou encore simplement du fait de l'obsolescence de l'actif immobilisé.

De telles situations sont exposées dans l'annexe jointe, avec des exemples chiffrés.

Pour mon seul cabinet, les 220 PME qui sortiront du champs de la certification obligatoire des comptes engrangent en moyenne un chiffre d'affaires de 7,5 M¤ mais affichent un total bilan < à 4 M¤. Parmi ces 220 PME :

  • 43 d'entre elles ont un chiffres d'affaires moyen de 14 M¤ ;
  • 11 d'entre elles ont un chiffre d'affaires moyen de 19 M¤.

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Est-il raisonnable de laisser des PME dont le chiffre d'affaires dépasse le double du seuil de 8 M¤ sans certification des comptes ? Alors que d'autres, de taille pourtant inférieure, y resteront soumises, est-ce cohérent ?

Nous ne refusons pas l'évolution de notre périmètre d'intervention, à condition d'aller dans le sens de l'intérêt général.  La Directive européenne fait preuve de bon sens puisqu'elle « ...n'empêche pas les Etats membres d'imposer une obligation d'audit pour leurs petites entreprises en tenant compte des conditions et des besoins spécifiques de ces entreprises et des utilisateurs de leurs états financiers. » [4]

Notre profession reste au premier chef à même de faire des propositions qui concilient les objectifs de l'attendu n° 1 de la Directive Européenne « ... accroître la productivité des PME par exemple en éliminant les lourdeurs administratives », et l'attendu n° 4 « ... établir le juste équilibre entre les intérêts des utilisateurs des états financiers et l'intérêt de l'entreprise à ne pas subir de charge indue liée à des exigences en matière d'information ».

 

Absence de consensus sur le projet

Ce n'est que par suite d'un malentendu que la Commission sénatoriale qui vous a précédé dans l'examen du projet de loi a estimé que « ... au fond la profession a déjà accepté la réforme », propos formulé par Madame NAMURE, rapporteur.

Je conteste avec force cette soi-disant soumission. Il est vrai que la profession est restée étrangement passive, tant ce projet paraissait invraisemblable. Nous n'y avons pas vraiment cru, et c'est sans doute une faute, avant d'être sidérés quand nous avons pris conscience de la détermination du porteur de ce projet.

Mais n'oublions pas que la réforme européenne de l'audit [5] avait pour objectifs d'ouvrir la concurrence et d'accroître la transparence.

En excluant de fait du marché les « petits cabinets » [6] auxquels font appel les PME, l'article 9 aura l'effet inverse, avec une forte concentration du marché.  Les PME n'auront plus demain devant elles que les « big » qui auront, eux, survécut à l'article 9. On peut craindre pour elles que le coût qu'elle devront supporter soit significativement alourdi.

Il est tout de même baroque, mais significatif, d'entendre un associé d'un des 4 plus grands cabinets d'audit [7] se féliciter d'une réforme qui ampute 150 000 mandats sur 220 000 !

Nous ne vous demandons pas un régime de faveur, mais juste un délai raisonnable d'adaptation à ce bouleversement sans précédent, en reportant au 1er janvier 2021 l'entrée en vigueur de ce projet, s'il devait être voté par le Parlement.

Je vous remercie de l'attention que vous aurez bien voulu accorder à la présente, que j'adresse également par courriers séparés aux quatre vice-Présidents et je me tiens à la disposition de votre Commission.

Je vous prie de croire, Madame la Présidente, à l'assurance de ma considération distinguée.

 

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Pierre-Michel DAVID, expert-comptable et commissaire aux comptes
Audit Contrôle et Conseil www.acc-92.com

Ariel Zini sur LinkedIn

[1] En moyenne 5 500 ¤/an, soit après IS, une économie de 11 ¤/jour ... (5 500 – 28% = 3 930 / 365 = 11)

[2] Chiffre d'affaires de 2 M¤, effectif 10 personnes ou total de bilan 2 M¤

[3] « Les petites, moyennes et grandes entreprises devraient être définies et différenciées sur la base du total de leur bilan, de leur chiffre d'affaires net et du nombre de salariés qu'elles emploient en moyenne au cours de l'exercice, ces critères constituant généralement des indicateurs objectifs de la taille d'une entreprise ».

[4] Attendu n° 43 de la Directive 2013/34/UE du Parlement Européen et du Conseil - 26 juin 2013.

[5] Portée par la directive 2014/56/UE entrée en vigueur le 16 juin 2014.

[6] La perte de 220 mandats sur un total 245 aboutira inexorablement à la disparition de mon cabinet dont l'audit légal constitue 80 % de son activité

[7] Mr. Pierre CONSTANT, Partner at EY / Audit & Advise to Finance organizations, sur LinkedIn


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