Bertrand Dufour, 10 ans de spécialisation au service des start-up

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Créateur du pôle start-up du cabinet RSM France, l'expert-comptable Bertrand Dufour partage un retour sur 10 années d'expérience au c½ur de l'écosystème particulièrement riche, dynamique et évolutif des jeunes entreprises innovantes misant sur l'hypercroissance. Rencontre.

A l'origine, d'où est venue votre envie de travailler auprès des start-up ?

C'est mon intérêt pour l'automatisation comptable qui m'a naturellement dirigé vers cet environnement. Dès mon premier cabinet, je me suis mis à coder, à l'époque en VBA, pour automatiser les flux de production, le reporting et la restitution des données. Je le dis parfois en plaisantant : je n'aime pas la comptabilité en soi. Ce qui me passionne, c'est la manière dont les flux se transforment en informations utilisables pour la prise de décision des dirigeants.

C'est donc cette sensibilité au numérique et à la technologie qui vous a mené vers les start-up ?

Exactement. Une fois que l'on a cette culture de la data et de la structuration, on cherche des clients qui partagent cette vision. Mais d'autres aspects ont également retenu mon intérêt. Le rythme, la dynamique, les enjeux. C'est en accompagnant les start-up d'un incubateur que j'ai eu le déclic. Je voulais allier technologie et entrepreneuriat. Or les start-up ne sont pas juste des sociétés jeunes. Elles sont également innovantes, avec un développement rapide, une vélocité très forte. Travailler sur de tels projets est absolument passionnant !

Concernant la vélocité, vous dites que l'univers des start-up propose un « terrain de jeu en accéléré de la vie économique ». Plus généralement, selon vous, quel est l'intérêt pour un expert-comptable de se spécialiser dans cet écosystème ?

J'y vois deux grands intérêts. Tout d'abord, pour le collaborateur ou l'expert-comptable stagiaire, c'est un lieu d'apprentissage extrêmement riche. Dans un portefeuille classique, les dossiers sont souvent assez stables, tandis qu'au contact des start-up, il est possible de vivre en trois ans toutes les grandes étapes de la vie d'une entreprise : création, levée de fonds, cession, parfois même liquidation...

Ensuite, en tant qu'expert-comptable, j'ai fait le choix de me spécialiser car je voulais être excellent dans ce que je fais. Or il n'est pas possible d'être très bon partout. J'ai donc décidé de concentrer mes efforts dans cet écosystème des start-up, d'y investir du temps, de suivre des formations, de participer à des clubs spécialisés, de m'impliquer pour devenir réellement pointu. Aujourd'hui, cela me permet d'être à l'aise et crédible dans ce que je propose à mes clients, ce qui n'est pas toujours évident pour un expert-comptable généraliste.

Et quelles sont les difficultés ?

Il y en a plusieurs. Tout d'abord, c'est un environnement où on ne peut pas tricher. Ce n'est pas forcément une difficulté au sens classique, mais c'est un vrai point de vigilance. L'écosystème des start-up est un petit monde. Les dirigeants se parlent et se font confiance entre eux. Si jamais une baisse de qualité advient dans l'accompagnement de l'expert-comptable, une faille, cela peut se savoir très vite. Il y a une forte porosité réputationnelle. C'est un avantage si l'on est bon, mais cela peut aussi se retourner rapidement contre soi dès lors que le niveau de prestation n'est pas homogène.

Ensuite, c'est un marché instable. Une start-up peut disparaître du jour au lendemain, ou encore se vendre très vite. Les moments sont donc nombreux où les relations d'affaires peuvent s'interrompre, parfois sans prévenir. Dans ces conditions, il faut être très cohérent dès le début sur le temps consacré à chaque mission et sur les modalités de facturation, pour garantir une rentabilité.

Enfin, un dernier point d'attention : il est important de faire évoluer le prix chaque année. Ce sera tous les ans une nouvelle lettre de mission, avec une organisation ajustée. Cela suppose de passer beaucoup de temps en relation client.

C'est un marché instable. Est-il véritablement rentable ?

Oui, mais à certaines conditions. La première relève d'un choix stratégique. Il existe plusieurs manières d'accompagner les start-up. Si l'on adopte une approche « mass market » en acceptant toutes les entreprises, y compris celles qui ne sont pas véritablement innovantes, ni orientées vers une croissance rapide, l'exercice peut vite s'avérer très chronophage avec un retour sur investissement incertain. De plus, on bascule alors dans un modèle industriel, avec un accompagnement standardisé, à faible valeur ajoutée. Ce n'est pas du tout la stratégie que nous avons retenue. Au contraire, j'ai fait le choix de constituer des équipes qualifiées, voire très qualifiées. Notre objectif n'est pas de faire du volume, mais de proposer un accompagnement sélectif et pointu.

L'outil aussi est central. Utiliser les bonnes solutions fait gagner du temps, qui peut ensuite être reconverti en valeur pour les clients, les collaborateurs et le cabinet. Un autre point d'attention est le fait que les dossiers évoluent rapidement, en volume ou encore, en complexité. Cela suppose un pilotage très fin, car sinon, on peut vite se retrouver à courir après le temps. Enfin, un dernier aspect à prendre en compte est la facturation. Les start-up ne sont pas des clients que l'on peut facturer a posteriori. Il faut prévoir cela en amont afin de soutenir la rentabilité.

D'après vous, en 10 ans, le paysage des start-up a très fortement évolué. Pouvez-vous nous expliquer cela ?

Tout d'abord, à l'époque, l'accompagnement de ces entreprises était beaucoup moins structuré. Il y avait très peu d'experts-comptables spécialisés dans le domaine, moins d'incubateurs et moins d'organismes tels que Bpifrance par exemple.

La connaissance globale du fonctionnement d'une start-up était par ailleurs assez limitée. Aucune méthode n'était clairement établie pour mener à bien son projet. Je devais donc aider les dirigeants à structurer leur réflexion : quel est le modèle économique de l'entreprise ? Quels sont les fondamentaux ? Comment avancer ? Des questions qui aujourd'hui paraissent évidentes, mais qui alors ne l'étaient pas.

En 10 ans, l'environnement est aussi devenu plus rationnel. Avant il était possible de lever des fonds sur une simple idée, une équipe ou un produit. Désormais, il faut des chiffres, du cash qui entre déjà dans la structure. Un entonnoir s'est mis en place, qui a obligé les créateurs de start-up à monter en compétences.

Aujourd'hui, les dirigeants qui se présentent pour une série A savent ce que cela implique. Ils ont conscience des attentes, notamment en termes de chiffre d'affaires, de revenus récurrents. Ils bénéficient de l'expérience de leurs prédécesseurs, ont accès à beaucoup plus d'informations et sont donc mieux armés dès le départ. Le niveau de maturité du marché a fait un bond très substantiel.

Et quel est votre regard sur les 10 prochaines années ?

Il ne s'agit pas de lire dans une boule de cristal, mais il y a tout de même certaines tendances. Notamment, je suis un fervent défenseur de la facture électronique. Cela va amener de nombreux changements, en particulier sur l'obtention de la donnée et la capacité à prendre des décisions plus rapidement.

Autre tendance concernant les start-up : je constate une accélération des ambitions à l'international. Certains acteurs visent l'étranger dès la première année. Cela s'explique notamment par le caractère relativement atone du marché français actuellement. Les dirigeants comprennent qu'il faut aller chercher des relais de croissance ailleurs.

Quant aux technologies, elles évoluent à une telle vitesse... Il y a 3 ou 4 ans, on travaillait beaucoup sur la blockchain, les crypto-actifs. Aujourd'hui, nous sommes en pleine vague IA qui aura peut-être aussi sa bulle de descente. Ce que je sais, c'est que l'innovation continuera. Et que nous continuerons à l'accompagner.

Un mot de conclusion ?

Je voudrais insister sur le fait que la spécialisation est selon moi une excellente voie de développement pour les experts-comptables. A titre personnel, je suis parti de ce qui me passionne. Et je crois sincèrement que c'est ce qui me permet de mieux faire mon métier. Aujourd'hui, on peut fonctionner en réseau, collaborer, partager les compétences. On n'a plus besoin d'être bon en tout, d'être généraliste. Il est possible de s'épanouir dans notre profession en adoptant une approche spécialisée. Après, il faut trouver la bonne clientèle, celle qui vous ressemble et qui a envie d'avancer avec vous.


Hugues Robert
Rédacteur en chef de Compta Online, média communautaire 100%digital destiné aux professions du Chiffre depuis 2003.
Directeur de la rédaction adjoint du Monde du Chiffre et duMonde du Droit, journaliste Décideurs TV, puis rédacteur en chef de DafMagazine, je rejoins ensuite l'équipe Compta Online en septembre 2024.
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