Damien Charrier élu président du CNOEC : quelles sont les nouvelles ambitions de l'Ordre des experts-comptables ?

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Damien Charrier est le nouveau président du Conseil national de l'Ordre des experts-comptables, élu le 17 décembre dernier. Il revient sur cette élection, sur la nouvelle organisation de l'institution et sur les éléments clés de son programme : facture électronique, intelligence artificielle et data, attractivité et compétences, influence... Selon lui, les experts-comptables doivent avoir confiance en l'avenir, alors que s'ouvre une année charnière pour la profession.

Tout d'abord, quel est votre sentiment sur votre récente élection à la tête du CNOEC ?

C'est avant tout un sentiment de fierté, car il s'agit d'une fonction importante pour notre profession. En même temps, je ressens une grande responsabilité car cela implique de représenter 22 000 experts-comptables et toute une filière de 170 000 collaborateurs. Ce poids est d'autant plus important que notre profession traverse aujourd'hui une période marquée par des enjeux particulièrement significatifs.

Pouvez-vous nous présenter les nouveaux vice-présidents de l'institution ?

La gouvernance comporte plusieurs personnes très expérimentées, ayant déjà exercé des responsabilités au CNOEC. Jean-Marc Jaumouillé est ainsi affecté à l'exercice professionnel. Il était déjà vice-président en charge du régalien. Il maîtrise parfaitement ce domaine et conserve donc cette fonction. Patrick Bordas est responsable de l'administration et des finances. Là encore, c'est un secteur étroitement lié à la bonne marche de l'institution, qui reste inchangé avec la nouvelle mandature. La trésorerie est quant à elle confiée à Cécile Chabbert qui était jusqu'à peu présidente de l'Ordre de Normandie.

Pascal Castanet, ancien président de l'Ordre de la région Occitanie, va s'occuper de la formation. Un pôle particulièrement stratégique. Jean-Yves Lechevestrier, anciennement à la tête du CROEC Pays de la Loire, est en charge d'un nouveau secteur intitulé influence et simplification. Ce département englobe les commissions comptable, fiscale et sociale, avec un objectif transversal de simplification pour améliorer la vie et la productivité des cabinets.

Florent Burtin, que je ne présente plus, s'occupera du rayonnement de la profession, une thématique centrale. Yannick Ollivier, ancien président de la CNCC, également bien connu de la profession, est affecté à un nouveau secteur dédié au modèle économique durable. Enfin, Katy Hoarau, auparavant à la tête de l'Ordre de La Réunion, prend la responsabilité du pôle dynamique des territoires, qui reflète notre engagement en faveur d'un modèle de gouvernance valorisant les initiatives régionales.

Et dernier point d'importance concernant l'organisation du CNOEC : nous avons créé un secteur dédié aux grands projets stratégiques. Centré essentiellement sur le numérique, ce domaine est placé directement sous ma tutelle et copiloté par Dominique Périer.

Aucun poste de vice-présidence n'a été attribué aux groupements ECF et EPA. Pourquoi ce choix ?

C'est effectivement le cas, mais à mon sens, il n'y a pas lieu d'en faire une polémique. Les fonctions de vice-présidence sont directement liées à l'exécution d'un programme. Il est logique que l'équipe ayant conçu ce programme nomme les vices-présidents au sein de ses rangs. Il serait peu  cohérent de confier des projets à des personnes n'ayant pas participé à leur élaboration.

Nous avions toutefois proposé une ouverture au niveau du bureau, avec une répartition simple : deux assesseurs pour l'IFEC, deux pour ECF et deux pour EPA. Mais cette offre a été refusée. En définitive, ECF a accepté d'avoir deux invités permanents : Mohamed Laqhila et Jean-Luc Mohr. Cela montre une divergence dans la perception de l'ouverture. Pour nous, celle-ci devait se situer au niveau du bureau.

Enfin, plusieurs postes de présidence de commission ont été confiés à des personnes issues d'ECF et d'EPA.

Le passage à la facture électronique est un point important de votre programme. Quelles seront vos actions concrètes en la matière et allez-vous poursuivre le projet de PDP gratuite annoncé par Cécile de Saint Michel ?

Tout d'abord, il convient de souligner que ce projet de PDP gratuite n'était pas véritablement concret. Il s'agissait surtout d'une annonce faite durant la campagne, qui tenait davantage de la déclaration d'intention. Aucun travail préalable n'a été mené au sein de l'Ordre. Et personnellement, je me suis opposé à cette proposition car les objectifs et les implications n'étaient pas clairs. Cette annonce a notamment suscité de vives interrogations parmi nos partenaires, dont certains ont investi des millions d'euros dans la mise en place d'une PDP et ne comprenaient donc pas la démarche du CNOEC. Nous prendrons le temps d'analyser le sujet mais je ne pense pas que nous nous dirigerons vers cette voie.

Cette question de la facture électronique est effectivement un axe central de notre programme. Sur le plan méthodologique, tout d'abord, nous allons faire en sorte d'établir un lien direct avec les personnes en charge du projet dans l'administration. Nous souhaitons que celles-ci viennent dans les sessions de l'Ordre puis dans les coordinations, afin que l'information redescende jusqu'au niveau régional, au plus près des cons½urs et confrères. De plus, il est essentiel de relancer les cycles de formation, car les études montrent un déficit de préparation des cabinets sur la facture électronique, en partie à cause des reports successifs du calendrier, qui ont découragé certains acteurs. Autre initiative : dans les prochains jours, un kit de communication sera mis à la disposition des experts-comptables pour les aider à informer leurs clients, lesquels attendent des conseils notamment sur le choix des PDP. Enfin, sur le plan technique, nous nous pencherons sur des points cruciaux comme l'interopérabilité des plateformes. Notre objectif est clair : assurer une transition fluide et efficace, en évitant que les nouveaux outils deviennent une source d'improductivité en raison d'une complexité excessive.

Vous souhaitez également développer une IA générative dédiée à la profession et renforcer l'exploitation de la data au sein des cabinets. Là encore, quelles seront vos actions concrètes et allez-vous approfondir les dispositifs mis en place par la précédente mandature, comme ExpertCHAT ou La Source ?

Comme indiqué dans notre programme, sur l'intelligence artificielle comme sur la donnée, notre intention n'est nullement de tout balayer et repartir de zéro. Nous souhaitons au contraire consolider et développer les bases existantes.

Concernant le data lake, il est essentiel d'approfondir les avancées déjà réalisées. Je pense notamment que la profession a besoin de mieux comprendre le modèle économique autour de la donnée. On en parle beaucoup, on imagine le potentiel, mais aujourd'hui, dans la pratique des cabinets, ce n'est pas encore une ligne de produit à part entière. Et pour que cela change, il faut créer les conditions propices, notamment sur le plan économique. Cela inclut par exemple des questions comme la rémunération éventuelle des éditeurs ou celle des personnes qui fournissent la data. Ou encore, une réflexion sur les coûts d'exploitation et les bénéfices que l'on peut en tirer. Ce n'est qu'en établissant des bases solides que nous pourrons réellement valoriser la donnée.

S'agissant de l'intelligence artificielle, nos projets s'inscrivent dans une démarche à long terme. Notre objectif est de développer des IA spécifiques, conçues pour répondre à des besoins précis. ExpertCHAT permet ainsi de faciliter l'accès aux informations documentaires de l'Ordre. Mais un autre cas d'usage envisageable pourrait être la génération de lettres de mission à partir d'une demande en langage naturel. Cela correspond à notre vision sur le sujet : simplifier la vie des cabinets.

Un autre axe de votre programme est celui de l'attractivité, du management et du renforcement des compétences. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Un certain nombre de compétences vont évoluer dans les années à venir. Ce processus a déjà commencé. C'est pourquoi la formation et la gestion des compétences sont des points centraux. A cet égard, nous avons identifié dans le projet Profession comptable 2030 des initiatives qui ont bien fonctionné et que nous souhaitons donc poursuivre. Les formations pertinentes ne seront pas arrêtées, bien au contraire.

L'enjeu principal est d'identifier la nouvelle mission récurrente des cabinets de demain, qui s'orientera probablement davantage vers le contrôle des données et le contrôle de gestion. Il faut accompagner les professionnels sur ce terrain. Les nouvelles compétences ne sont pas si éloignées de celles déjà acquises, mais elles ne font pas encore partie de la pratique quotidienne des cabinets.

Sur l'attractivité, si nous parvenons à expliquer clairement aux étudiants et aux jeunes professionnels ce qu'implique réellement la vie au sein d'un cabinet, cela changera leur perception. Il faut leur montrer que le travail ne consiste pas seulement à collecter des factures ou gérer des clients mécontents, mais bien à accompagner les entreprises dans leur gestion, ce qui correspond à ce qu'ils apprennent à l'école.

Il faut aussi transformer concrètement le quotidien des cabinets pour améliorer la qualité de vie au travail. Cet aspect est essentiel : dès que les collaborateurs s'éloignent des tâches répétitives de collecte et de traitement, ils se sentent nettement plus épanouis. Cela correspond à une attente réelle de leur part.

Selon vous, l'Ordre doit gagner en influence et se positionner comme un interlocuteur clé auprès des décideurs publics et économiques. Quelle est la marge de progression du CNOEC sur ce terrain et quelles actions allez-vous mettre en ½uvre ?

La marge de progression est extrêmement importante. J'ai exercé un mandat de président territorial au Medef pendant près de six ans. Et de cette expérience, j'ai appris que le sujet était de faire de l'influence au bon niveau. Si nous tentons de rivaliser avec le Medef, nous échouerons. Nous devons faire de l'influence sur les points qui nous concernent directement. Prenons l'exemple du guichet unique : c'est une anomalie complète que nous n'ayons pas été consultés en amont. A l'inverse, lors de la mise en place du prélèvement à la source, nous avions été intégrés dès le départ. Cela illustre ce que nous devons retrouver : être systématiquement sollicités sur les sujets relevant de notre périmètre.

L'influence efficace repose sur la précision et le respect de notre champ de compétences. Si nous abordons des questions trop éloignées, nous risquons de perdre en crédibilité. Il est préférable de limiter les sujets mais de les traiter en profondeur. Autrement dit, restreindre les combats pour maximiser notre impact.

Pour finir, quel serait votre principal message à la profession et plus largement au monde économique et politique en tant que nouveau président de l'Ordre des experts-comptables ?

Mon principal message à la profession est simple : avoir confiance en l'avenir. Nous vivons une année charnière et symbolique, puisque nous allons célébrer les 80 ans de l'ordonnance de 1945, un événement fondateur. Cette célébration sera d'ailleurs l'un des moments forts de notre prochain congrès à Lyon. Ainsi, mon message à la profession est que nous soyons fiers de notre ADN d'expert-comptable et que nous saisissions l'opportunité de ces 80 ans pour se projeter avec sérénité sur les métiers de demain.

A l'attention des décideurs politiques, je souhaite rappeler qu'ils peuvent compter sur nous pour les projets de réforme. J'en ai évoqué quelques-uns, à commencer par la généralisation de la facture électronique, un sujet sur lequel nous avons une place naturelle.

Enfin, s'agissant du monde économique, chaque expert-comptable va continuer à être un soutien clé dans des domaines variés. Nos clients se tournent naturellement vers nous sur des questions dont le périmètre ne cesse de grandir. Il est essentiel que nous conservions cette place centrale, notamment auprès des TPE-PME.


Hugues Robert
Rédacteur en chef de Compta Online, média communautaire 100%digital destiné aux professions du Chiffre depuis 2003.
Directeur de la rédaction adjoint du Monde du Chiffre et duMonde du Droit, journaliste Décideurs TV, puis rédacteur en chef de DafMagazine, je rejoins ensuite l'équipe Compta Online en septembre 2024.
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