Jean Bouquot, nouveau président de l'IFAC : « Les évolutions en cours nous autorisent à être confiants et conquérants »

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Le français Jean Bouquot vient de remplacer Asmâa Resmouki à la tête de l'IFAC (International federation of accountants). Retour sur le parcours de cette personnalité centrale du monde du chiffre et sur sa vision pour les professionnels de la comptabilité à l'échelle mondiale.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours professionnel ?

Mon parcours s'étend sur 44 ans. J'ai commencé comme auditeur chez Arthur Andersen à Paris. J'y ai passé une grande partie de ma carrière jusqu'à l'effondrement du cabinet. Durant cette période, j'ai travaillé avec des grands comptes mais aussi avec des entreprises de taille intermédiaire. Après la dissolution d'Arthur Andersen, j'ai intégré Ernst & Young qui à l'époque, avait accueilli la majeure partie des équipes françaises du cabinet. J'ai continué à évoluer, occupant des fonctions de direction, notamment dans l'animation de l'audit.

Progressivement, je me suis également engagé sur le plan institutionnel. J'ai été président de la CRCC de Versailles puis de la CNCC. A partir de 2019, j'ai commencé à m'impliquer de plus en plus au sein de l'IFAC. J'y suis entré comme observateur au conseil d'administration. J'ai ensuite été élu administrateur en 2020, vice-président il y a deux ans et enfin président cette année.

Parallèlement, j'ai aussi eu l'opportunité de m'engager dans une autre voie. Entre 2008 et 2020, j'ai servi comme colonel de réserve dans l'armée de l'air au sein de l'inspection. Une expérience passionnante !

Quel est votre sentiment sur votre récente nomination à la présidence de l'IFAC ?

Cela suscite beaucoup d'émotions. Il n'y a qu'une fonction de ce type. Donc il n'était pas évident qu'un jour, je deviendrais président de l'IFAC. Je ressens un grand enthousiasme à l'idée d'occuper ce poste pendant deux ans, de la reconnaissance à l'égard de tous ceux qui m'ont côtoyé durant les 44 dernières années et tous ceux qui ont soutenu ma candidature. Beaucoup de passion également à l'idée de servir la profession au sens le plus noble, car ce rôle, volontaire et non rémunéré, exige un engagement très fort que je compte bien tenir.

Que représente cette nomination pour la France ?

C'est une reconnaissance importante pour la profession comptable française, dans un environnement souvent perçu comme très anglo-saxon. Elle est particulièrement significative pour nos deux grandes institutions  que sont le CNOEC et la CNCC. Etre seulement le deuxième Français à occuper ce poste, après René Ricol, donne peut-être aussi un peu plus d'aura à la démarche. Enfin, cette nomination représente des attentes pour porter des messages sur un certain nombre de thématiques comme l'organisation du métier ou encore le recrutement.

En parallèle, à travers mon engagement au sein de la FIDEF (Fédération internationale des experts-comptables et commissaires aux comptes francophones), je suis attentif à la place du monde francophone dans le paysage international.

Quels seront vos chantiers prioritaires à la tête de l'IFAC ?

Je souhaiterais tout d'abord préciser un point sur le fonctionnement de l'IFAC. En France, les institutions sont dirigées par des présidents élus, dont les mandats rythment les orientations. Mais dans le monde anglo-saxon et plus largement dans de nombreux pays, les organisations professionnelles ont un modèle centré sur un directeur général ou CEO puissant, recruté pour un mandat de longue durée, parfois renouvelable sur plusieurs décennies. A l'IFAC, c'est ce dernier schéma qui prévaut. Le pouvoir est ainsi concentré entre les mains du CEO, tandis que le président joue un rôle différent.

D'une part, le président porte une responsabilité importante en matière de représentation. Avec 189 membres issus de 142 pays, l'IFAC agit à l'échelle mondiale, et cette représentation doit refléter toute la diversité professionnelle et culturelle du groupement. Cela inclut aussi un dialogue étroit avec des organisations internationales comme l'IOSCO, l'OCDE ou encore, les différents régulateurs. D'autre part, le président joue un rôle de suivi de la gouvernance, notamment pour veiller à ce que chaque membre trouve sa place, sans prédominance d'une zone géographique, d'une culture ou d'un type de profil.

Dans ce cadre, ma volonté est de garantir le bon fonctionnement de l'IFAC, de m'assurer qu'elle reste bien une organisation à la fois pluridisciplinaire et pluriculturelle, et de faire en sorte que la gouvernance travaille en excellente intelligence avec les équipes. Je souhaite être à l'écoute des membres et des parties prenantes extérieures pour être le plus attentif possible aux différents axes sur lesquels nous pourrions renforcer nos actions ou mettre en place de nouvelles initiatives.

C'est mon ambition et j'ai la chance par ailleurs que nous ayons depuis peu un nouveau CEO, Lee White, une personne tout simplement remarquable, qui pourra apporter un nouvel élan à la fédération.

Plus largement, quels sont aujourd'hui, selon vous, les grands enjeux des professionnels de la comptabilité au plan international ?

L'un des défis fondamentaux pour les professionnels de la comptabilité est d'être bien perçus comme des acteurs au service de l'intérêt général. C'est un positionnement unique et essentiel, qui nous distingue des autres métiers à l'échelle mondiale. Cela implique une adhésion stricte aux règles d'indépendance et une capacité à inspirer de la confiance, que ce soit dans la lutte contre le blanchiment d'argent, la corruption ou d'autres thématiques aussi sensibles.

Le développement durable constitue un autre enjeu majeur. La profession doit se positionner comme un acteur incontournable. Cela nécessite des investissements forts dans le recrutement, la formation et les outils. Devenir un acteur clé de la durabilité ne s'improvise pas. Il est essentiel de prouver à nos parties prenantes que nous sommes en ordre de marche pour relever ce défi.

L'attractivité est également un sujet crucial, qui ne se limite pas à la France. De nombreux pays font face à des difficultés pour recruter des talents, qu'il s'agisse de jeunes diplômés ou de professionnels en reconversion. L'IFAC se doit de s'impliquer et de nourrir la réflexion sur ces questions.

L'intelligence artificielle est un autre point central. Elle transforme rapidement nos métiers. Certains y voient une menace, d'autres une opportunité. Nous devons être à l'écoute de ces évolutions, apporter des idées et si possible des solutions, notamment aux membres qui ne seraient pas suffisamment équipés, qui n'auraient pas la même puissance de feu que les grandes organisations.

J'insiste enfin sur la question de la lutte contre le blanchiment et la corruption. Certains environnements culturels ou politiques n'accordent pas la même importance au sujet que d'autres. Mais pour l'IFAC, c'est un aspect central. Nous devons nous impliquer.

Pour finir, en tant que président de l'IFAC, quel message principal souhaitez-vous transmettre aux professionnels de la comptabilité dans le monde ?

Je pense que nous avons un métier assez exceptionnel par son rôle global au service de l'intérêt général et sa pertinence à travers ses différentes branches que sont l'audit, l'expertise comptable libérale mais aussi, bien que moins développée en France, l'expertise comptable en entreprise. Il faut bien noter en effet qu'au-delà de l'Hexagone, dans les pays anglo-saxons, mais également en Inde, en Chine, au fond presque partout, les experts-comptables en entreprise, par ailleurs inscrits dans les institutions, sont extrêmement nombreux.

Malgré les difficultés, ce métier a une valeur exceptionnelle. Et j'entends bien porter ce message à l'international. Les évolutions en cours, sur le développement durable ou encore sur l'intelligence artificielle, nous ouvrent des champs et nous autorisent à être confiants et conquérants. Nous n'avons pas à rougir, ni de notre histoire, ni de notre place aujourd'hui.


Hugues Robert
Rédacteur en chef de Compta Online, média communautaire 100%digital destiné aux professions du Chiffre depuis 2003.
Directeur de la rédaction adjoint du Monde du Chiffre et duMonde du Droit, journaliste Décideurs TV, puis rédacteur en chef de DafMagazine, je rejoins ensuite l'équipe Compta Online en septembre 2024.
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