Précisions sur le lien de causalité entre la faute de l'expert-comptable et le dommage subi par un tiers

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Dans une décision du 10 juillet 2024 (pourvoi n°22-13.423), la Cour de cassation revient sur les conditions de mise en ½uvre de la responsabilité civile délictuelle de l'expert-comptable.

En effet, si, dans le cadre de sa profession, l'expert-comptable engage sa responsabilité civile contractuelle vis-à-vis de son client, un tiers à cette relation peut, le cas échéant, demander réparation à l'expert-comptable en mettant en jeu sa responsabilité civile délictuelle, c'est-à-dire en invoquant un manquement dans le cadre de sa relation contractuelle dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

Contexte

En l'espèce, une société franchisée a été condamnée à verser aux franchiseurs diverses sommes en réparation d'une rupture fautive de plusieurs contrats de franchise. Quelques mois plus tard, la société franchisée a été mise en liquidation judiciaire et les franchiseurs n'ont pu recouvrir les créances qu'ils détenaient sur la société franchisée.

Indépendamment des actions judiciaires engagées directement à l'encontre de la société franchisée et ses dirigeants, les franchiseurs ont souhaité engager la responsabilité civile délictuelle de l'expert-comptable de la société franchisée.

Selon eux, en effet, un manquement de la part de l'expert-comptable dans sa mission envers la société franchisée leur a causé un préjudice, celui de ne pas avoir pu recouvrer leurs créances détenues sur la société franchisée.

Problématique

Or, la Cour d'appel a donné raison aux franchiseurs, d'une part, en constatant la mise en liquidation judiciaire de la société franchisée et, d'autre part, en reprochant à l'expert-comptable « de ne pas avoir provisionné, dans les comptes [d'un exercice précédent de la société franchisée], les dettes résultant du contentieux né de la rupture des contrats de franchise ».

Dans le bilan de l'exercice en cause, l'expert-comptable s'était en effet contenté de constater que la société franchisée était « en contentieux avec le principal fournisseur de son ancienne activité commerciale quant aux modalités de rupture des contrats existants » et qu'en l'absence, encore à ce moment, de décision judiciaire exécutoire, et compte tenu des arguments avancés par son client, il n'a constaté aucune provision.

Pour la Cour d'appel, la situation exigeait que l'expert-comptable ne se cantonne pas aux explications fournies par sa cliente et fasse preuve de prudence en procédant, dans les écritures comptables, au provisionnement nécessaire. Dès lors, « faute d'accomplissement des diligences requises, la responsabilité délictuelle de [l'expert-comptable pouvait être] recherchée par les franchiseurs, en qualité de tiers, lesquels peuvent se prévaloir de cette faute contractuelle qui leur a causé grief ».

Or, si le tiers à un contrat peut effectivement invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, le lien de causalité entre le manquement de l'expert-comptable et le dommage subi par les franchiseurs était-il, en l'occurrence, suffisamment caractérisé ?

Solution

Pour la Cour de cassation, les motifs retenus par la Cour d'appel sont impropres à établir que le fait, pour la société d'expertise comptable, de ne pas avoir provisionné les dettes de sa cliente résultant de la rupture abusive des contrats de franchise conclus avec les franchiseurs, ait été à l'origine de l'impossibilité, pour ces derniers, de recouvrir les créances détenues sur la société franchisée.

Le lien entre la faute retenue et l'impossibilité pour les franchiseurs de recouvrer leurs créances n'était donc pas suffisamment établi en l'espèce. Il y donc lieu de considérer qu'en l'absence de faute de l'expert-comptable, le dommage, sans doute plus lié à la liquidation judiciaire de la société franchisée, se serait tout de même produit dans des circonstances similaires.

Décision

Ainsi, pour la Cour de cassation, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision, laquelle est cassée en ce qu'elle a dit que l'expert-comptable avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle vis-à-vis des franchiseurs.

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