L'obligation de conseil de l'expert-comptable au regard du devoir de prudence et évaluation du préjudice subi en cas de TVA facturée à tort

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Dans une décision du 19 juin 2024 (pourvoi n°22-19.532), la Cour de cassation revient sur le thème de la responsabilité civile de l'expert-comptable à raison de son obligation de conseil, tempéré par le devoir de prudence, et sur celui de l'évaluation du préjudice subi par le client en cas de manquement de l'expert-comptable à l'une de ses obligations contractuelles.

Contexte

En l'espèce, une société qui avait pour activité l'enseignement à distance et la correction de copies d'examens blancs pour des collèges et lycées, a fait assigner son expert-comptable en responsabilité devant le juge, en raison d'un manquement supposé à son obligation de conseil.

Plus précisément, alors que l'expert-comptable était en charge depuis plus d'une vingtaine d'années du dépôt des déclarations périodiques de chiffres d'affaires et de résultat et celles, mensuelles, de TVA, la société cliente lui reproche essentiellement de ne pas l'avoir informée de ce que ses activités de correction de copies d'examens blancs étaient en fait exonérées de TVA. Avec pour conséquence, selon elle, d'avoir facturé, à tort, de la TVA à ses propres clients pour ses prestations de correction de copies.

Or, en effet, l'expert-comptable est condamné par la Cour d'appel à payer à sa cliente la somme de 26 614¤ à titre de dommages et intérêts, ce montant venant réparer le préjudice subi pour le trop-versé de TVA mais uniquement pour la période s'étendant du 15 mai 2014 jusqu'à la date de fin de la mission de l'expert-comptable.

Cette décision n'ayant pas entièrement répondu aux attentes de la cliente, cette dernière s'est pourvue en cassation.

Problématique

Malgré tout, si les règles du Code général des impôts, dans leur version applicable aux faits, exonéraient déjà de TVA les prestations de services effectuées dans le cadre de l'enseignement primaire et secondaire, la question de cette exonération pour les prestations, accessoires à l'activité d'enseignement, de corrections de copies d'examens blancs telles que réalisées par la société cliente n'était pas tranchée.

Celle-ci a même fait en l'espèce l'objet d'un rescrit de la part de l'administration fiscale qui, se fondant sur un arrêt de la cour administrative d'appel du 15 mai 2014, a accordé à la société cliente l'exonération de TVA sur les prestations de corrections de copies d'examens en tant qu'elles sont accessoires aux prestations d'enseignement. Elles doivent par conséquent suivre le même régime fiscal en matière de TVA que les prestations principales.

Dès lors, dans ces circonstances, l'expert-comptable a-t-il laissé à tort sa cliente facturer la TVA sur les prestations de corrections de copies d'examens, à tout le moins avant le 15 mai 2014 ? 

Et qu'en est-il de la période postérieure à cette date ? Dans le cas où l'expert-comptable aurait effectivement manqué à son devoir de conseil en laissant sa cliente facturer la TVA pour des activités qui en étaient exonérées, comment évaluer le préjudice subi par elle ?

Solution

S'agissant de la période allant jusqu'à la décision de la cour administrative d'appel du 15 mai 2014, la Cour de cassation relève que « l'administration fiscale n'admettait pas l'exonération de TVA des prestations de correction de copies d'examens blancs » réalisées par la société cliente. En effet, si l'administration fiscale s'est précisément fondée, dans son rescrit accordant l'exonération de TVA, sur la décision du juge administratif du 15 mai 2014, c'est bien parce que, avant cette date, « [l]'exonération n'était, pour cette administration, pas acquise ».

Dans ces conditions, l'expert-comptable n'a pas commis de faute en laissant facturer la TVA sur les prestations de correction de copies. Il n'a pas manqué à ses obligations de diligence et de conseil, qui incluent nécessairement un devoir de prudence.

S'agissant de la période postérieure à l'arrêt de la cour administrative d'appel, la société cliente a continué de facturer la TVA à ses propres clients pour des activités qui étaient considérées par l'expert-comptable, cette fois à tort, comme des activités non exonérées. Le professionnel a donc, à cette occasion, manqué à son devoir de conseil ; manquement qui s'est traduit pour le client par un surcoût des prestations par rapport à la concurrence et par une perte de compétitivité caractérisant un certain préjudice.

Toutefois, comment évaluer les conséquences dommageables par la société cliente ? A ce titre, même s'il est établi qu'elle a été contrainte, pour rester compétitive, de réduire ses marges à cause de la TVA indue, elle « ne peut assimiler à une marge dont elle aurait été privée la TVA qu'elle a trop versée ».

C'est pourquoi doit être approuvée la Cour d'appel qui, dans le cadre de cette évaluation, applique aux chiffres d'affaires retenus, l'augmentation du chiffre d'affaires réalisé lorsque la TVA n'a plus été facturée aux clients, et y applique « son taux de marge calculé à partir du résultat d'exploitation rapporté à son chiffre d'affaires ».

Décision

Dans ces circonstances, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société cliente, tout d'abord, parce que l'expert-comptable n'engageait pas sa responsabilité civile sur le fondement du devoir de conseil avant le 15 mai 2014 et, ensuite, pour la période postérieure, parce que l'évaluation du préjudice subi par la société cliente a fait l'objet d'une appréciation souveraine des juges du fond.

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