Dans une décision du 15 février 2024 (pourvoi n° 22-16.132), la Cour de cassation est revenue sur le thème de la portabilité des garanties de protection sociale complémentaire. Prévue à l'article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale, celle-ci permet notamment aux anciens salariés licenciés, hors cas de faute lourde, sous certaines conditions, de continuer à bénéficier de l'affiliation aux régimes de frais de santé et de prévoyance de l'entreprise.
Le contexte est ici celui d'une société en liquidation judiciaire.
Contexte
En effet, en l'espèce, une société a souscrit un contrat de prévoyance (assurance complémentaire santé) au bénéfice de ses salariés auprès d'un assureur. La cessation définitive de l'activité de la société ayant été prononcée par un tribunal de commerce, les salariés ont été licenciés pour motif économique et un mandataire liquidateur a été désigné.
Peu après la fin des préavis de licenciement, l'assureur a résilié le contrat collectif d'assurance complémentaire santé avec effet en fin d'année (échéance annuelle) en précisant que les salariés licenciés ne pourraient plus bénéficier, en raison de la liquidation judiciaire, du maintien de leurs garanties de frais de santé au titre de la portabilité de leurs droits à l'échéance.
Le liquidateur assigne donc l'assureur devant le tribunal aux fins de le voir condamner à assurer le maintien de ces garanties. Effectivement condamné en appel à maintenir les garanties collectives, l'assureur se pourvoit en cassation.
Problématique
On rappelle que la loi prévoit expressément le maintien des droits en matière de prévoyance complémentaire au profit des anciens salariés (CSS, art. L. 911-8). Ces derniers restent en effet couverts durant 12 mois maximum après la rupture de leur contrat de travail, quel qu'en soit le motif (sauf faute lourde), s'ils sont pris en charge par l'assurance chômage.
Le fait que l'employeur soit placé en liquidation judiciaire ne change rien : les anciens salariés licenciés remplissant les conditions restent temporairement couverts. Malgré tout, pour qu'il y ait maintien des droits, encore faut-il que le contrat collectif de prévoyance liant l'employeur et l'assureur ne soit pas rompu ; l'assureur ayant, selon les règles du droit des assurances, une faculté annuelle de rompre le contrat d'assurance, sous réserve de respecter quelques conditions formelles, à la date d'anniversaire du contrat.
Comment fonctionne la portabilité sur les frais de santé et prévoyance ?
Aux termes de la loi, les salariés garantis collectivement contre divers risques sociaux (décès, maternité, incapacité de travail ou invalidité) “bénéficient du maintien à titre gratuit de cette couverture en cas de cessation du contrat de travail, non consécutive à une faute lourde”.
Ce maintien (= portabilité) à titre gratuit perdure durant “toute la période d'indemnisation du chômage, dans la limite de la durée du dernier contrat de travail” et dans une limite maximale de 12 mois. Le droit à portabilité doit figurer sur le certificat de travail remis au salarié licencié.
En tout état de cause, il ne peut y avoir portabilité si le contrat collectif conclu entre l'employeur et l'assureur est résilié.
Or, pour la cour d'appel, la résiliation du contrat collectif par l'assureur après la date d'effet de licenciement des salariés (laquelle marque le début de la portabilité) est sans conséquence sur leur droit à portabilité. En effet, pour l'application de la portabilité, la loi :
- ne distingue pas entre les salariés des employeurs « in bonis » (ceux qui ne sont pas en état de cessation des paiements) et ceux des entreprises en liquidation judiciaire ;
- n'édicte aucune condition concernant l'existence d'un dispositif permettant d'assurer le financement du maintien des garanties frais de santé et prévoyance, au risque pour l'assureur d'avoir à assumer la couverture d'un risque non financé.
Pour la cour d'appel, les garanties maintenues au bénéfice de l'ancien salarié sont celles applicables au jour d'ouverture de la procédure collective (redressement judiciaire ou autre...) ; ouverture qui n'entraîne pas, en elle-même, la résiliation du contrat collectif de prévoyance. Dès lors, si la résiliation du contrat par l'assureur est possible, celle-ci n'a aucune incidence sur les garanties en vigueur au jour du licenciement des anciens salariés.
Autrement dit, la cour d'appel estime que, puisque les salariés ont été licenciés avant la résiliation du contrat collectif par l'assureur, cette dernière, intervenant à l'échéance annuelle, ne peut avoir d'effet sur leurs garanties. Les salariés licenciés ont « acquis le droit au maintien de leurs garanties pendant toute la durée prévue par [la loi] ».
La question que devait trancher la Cour de cassation était donc celle des conséquences de l'absence de résiliation du contrat collectif à la date d'effet de la portabilité (lendemain de la date d'effet de la rupture du contrat de travail) : une telle absence interdit-elle ensuite à l'assureur de résilier le contrat collectif au cours de la portabilité afin de mettre un terme au maintien des garanties ?
Solution
Non, répond la Cour de cassation, car pour elle il importe peu, dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire, que la résiliation du contrat d'assurance « intervienne après le licenciement des salariés », celle-ci met un terme à la portabilité qui bénéficiait jusque-là aux anciens salariés licenciés.
Elle censure ainsi l'argument central de la cour d'appel selon lequel la portabilité est maintenue lorsque le contrat collectif est toujours en cours au jour du licenciement.
Autrement dit, les assureurs ne sont pas tenus de maintenir un droit à portabilité après la cessation du contrat d'assurance, en l'absence de disposition légale le leur imposant : ils conservent leur faculté de résiliation à l'échéance (à exercer au moins 2 mois avant la date d'anniversaire du contrat d'assurance) prévue par le Code des assurances.
Décision
En cassant et annulant l'arrêt de cour d'appel, la Cour de cassation permet ainsi aux assureurs de résilier le contrat collectif les liant à une entreprise en liquidation judiciaire, au moins 2 mois avant la date d'échéance du contrat.
A l'inverse, côté salarié, la durée de la portabilité des garanties frais de santé et prévoyance est, dans ces circonstances, potentiellement plus courte (à savoir, la durée entre l'ouverture de la liquidation et la date d'échéance annuelle du contrat d'assurance).
Il n'empêche, en l'absence de résiliation du contrat d'assurance à l'échéance annuelle par l'assureur, ce dernier reste tenu de maintenir des garanties frais de santé et prévoyance qui ne sont plus financées par la société en liquidation judiciaire (sauf aménagement contractuel préalable prévoyant, au profit de l'assureur, le versement d'une surprime en cas de liquidation judiciaire).
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